Le génial inventeur en vedetteMéliès le magicien, star des Rencontres 7e art
Avec les Lumière, le Français inventa le cinéma. Son truc à lui, c’était la poésie, l’illusion, l’artifice. À redécouvrir en préambule des séances du festival lausannois.

La puissance du magicien Georges Méliès crève l’œil… Ainsi, quand Henri Langlois et Georges Franju fondèrent la Cinémathèque française, ils se jurèrent de protéger son héritage. Et chaque année, des petits bouts de sa magie viennent s’ajouter dans la malle à trésors. Pour honorer sa mémoire, les Rencontres 7e art Lausanne proposent une sélection de courts métrages avant chaque film de cette édition 2023.
Lucide et visionnaire, Jean-Luc Godard cadrait ainsi le personnage: «Pour savoir faire du cinéma, il nous faut retrouver Méliès, et pour ça, pas mal d’années-Lumière sont encore nécessaires.» Aux frères Lumière, l’avantage technique, à Méliès, venu du royaume de l’illusion, l’atout poétique. Les trois compères se croisèrent, notamment en mars 1895, lors des premières projections du cinématographe. Des archives prouvent que s’ils se chambraient volontiers, ils s’épataient mutuellement.

Car Méliès compense ses lacunes scientifiques par l’envergure cosmique de ses trucages de carton-pâte. Et le génial artisan vous en met plein la vue. Comme la Lune qui en prend un maximum! Nul besoin de livret explicatif comme jadis, ses intrigues aujourd’hui explosent l’écran. Méliès se fait des comic strips avant l’heure. Et tout ça avant même l’invention du parlant.
Martin Scorsese, qui lui rend hommage dans «Hugo Cabret» (2011), n’a jamais oublié son premier Méliès, vu dans une boutique branchée de l’East Village à New York, vers 1960. «C’était comme si le temps ne s’était pas écoulé, raconte le réalisateur dans le catalogue de la Cinémathèque française (Éd. Flammarion). Méliès était tout aussi avant-gardiste, à la pointe, que des jeunes créateurs d’alors, il appartenait à une toute nouvelle école de cinéma – c’était libérateur.» Et de préciser en complice: «Il recherchait «la réalisation de l’impossible», une sorte de troisième image fantôme dans l’esprit, dans la représentation mentale. C’est inspirant à l’infini. Cette quête m’accompagne toujours.»
Un public crédule
Sans se vanter, Georges Méliès savait, lui, combien ses tours de magie pouvaient envoûter le public si crédule du début du XXe siècle. «On pouvait présenter aux spectateurs ce qu’on voulait, ils n’y voyaient que du feu, car ils n’avaient aucune notion de trucage.» Bien sûr, le badaud se lassa ensuite de ces tours. Les revers de fortune ne manquèrent pas. D’autant que cet entrepreneur téméraire fut souvent piraté, spolié, victime d’incendies et autres accidents, jusqu’à passer pour «le premier cinéaste maudit d’une histoire qui en comptera beaucoup d’autres».
Qu’importe, comme un diablotin sort de sa boîte, cette figure romanesque à l’envi laisse du génie dans ses bobines. Ses fumisteries fonctionnent pour l’éternité. Dans un vaudou ensorceleur, une mystification rétinienne persistante illumine «un défilé gracieux et comique d’étoiles, bolides, comètes, etc.» Fantasmagorie dramatique, récréation comique ou féerie éclaboussent ainsi ses spectacles cinématographiques, un barnum qui en appelle aux transformistes, danseurs et acrobates, où les rats se métamorphosent en laquais, les citrouilles en carrosses.
Mais comme Cendrillon perdra sa couronne à minuit, Méliès se retrouva sans le sou en 1925, ruiné par les créances hypothécaires. Dans le pauvre cagibi qui lui sert de boutique près de la gare Montparnasse, «la moustache roussie de nicotine», le vieillard dessine sur les cartons «bien raides et bien unis des fonds de boîte de confiserie». Malgré des hommages ici et là, un gala, une Légion d’honneur, il meurt dans la désuétude en 1938.
À voir en introduction de chaque film projeté durant les Rencontres, un film signé Méliès.
«Voyage dans la lune», de Méliès (1902), sera projeté avant le Ciné-Concert «Sherlock Junior» de Buster Keaton, avec une musique originale composée et jouée par l’organiste Guy-Baptiste Jaccottet (di 5 à 14 h 30, au Théâtre Barnabé à Servion).
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