Féminisme au quotidienMettre les règles en vitrine pour changer les mentalités
Une boutique dédiée aux protections menstruelles ouvre à Renens. Une première suisse qui répond à un besoin grandissant d’espaces de parole.

«Il faudrait pouvoir en parler sans honte et sans hésitation. Aussi normalement que quand on est enceinte!» Les règles, Alexandra Wheeler les verrait bien effacées de la liste des tabous qui pèsent sur les femmes, encore au XXIe siècle. Avec son associée, Eléonore Arnaud, elle vient de mettre une pierre à l’édifice. Cette semaine, elles ont inauguré «Rañute», une boutique entièrement consacrée aux protections menstruelles, à Renens. Une première en Suisse, disent-elles, et en tout cas une idée qui fait mouche: la campagne de crowdfunding qui leur a permis de se lancer a atteint son objectif à 215%.
«Il y a des magasins spécialisés en tout, mais pour les règles, rien! lance Eléonore Arnaud. La moitié de la population est concernée et c’est encore comme si les femmes devaient se débrouiller pour trouver ce qui leur convient le mieux.» Dans leur petit local, elles mettent désormais en vitrine des produits qui tordent le cou à l’idée qu’en dehors des tampons et des serviettes industrielles, point de salut.
Innovations méconnues
Car en matière de protections menstruelles, si les alternatives et les innovations se sont développées ces dernières années, elles restent peu accessibles, hormis en ligne. «Pour trouver une culotte de règles, je pouvais faire des kilomètres jusqu’à un magasin qui n’a qu’un seul choix et repartir bredouille, se souvient Eléonore Arnaud. Il faut que les clientes puissent voir, toucher et trouver ce qui convient à leurs besoins spécifiques.»

En rayon, les cups, de plus en plus populaires, voisinent avec des culottes menstruelles et des serviettes lavables, beaucoup moins répandues. On découvre aussi l’éponge naturelle, méthode ancestrale qui s’utilise comme un tampon, ou encore la cup au design étudié pour ne pas gêner les rapports sexuels. À côté des tisanes antidouleur, on trouve encore des «pisse-debout» jetables, en papier, dont le nom résume l’usage, ainsi que des livres destinés à tous les âges, de l’adolescence à la ménopause. Signe particulier de cette gamme de produits, pas un seul n’est jetable.

Besoin de parler
En général, ouvrir un magasin n’a rien d’un engagement social. Mais Rañute prévoit autre chose que des conseils de vente, avec notamment l’organisation d’ateliers sur des thèmes spécifiques ou des soirées témoignages. «Plusieurs personnes nous ont dit qu’elles ne trouvent pas d’espaces pour parler des règles. On est sur le mode: vous avez une question? Allez sur Google, relève Alexandra Wheeler. Les femmes qui abordent la ménopause ou qui souffrent d’endométriose se trouvent souvent seules avec leurs interrogations.»
Les cadres informels permettant d’échanger sur les règles sont en effet rares dans le canton. Mais ils existent et ils pourraient bien se multiplier. Depuis 2009 déjà, l’association CorpsEmoi organise des ateliers destinés aux ados accompagnés de leur mère sur le passage de la puberté, y compris les règles. Véronique Kupper a passé des années à les animer: «Les mentalités ont bien changé, mais une écrasante majorité de femmes voient encore les règles comme une tuile et ce regard conditionne aussi le regard de la société. Leur donner des solutions pratiques peut permettre de changer cela.» Portée par la même vague que Rañute, elle s’apprête d’ailleurs à lancer des soirées pour parler de protections menstruelles sous le nom de «Nanas et compagnie».

Activisme menstruel
Un nouveau souffle vient aussi des jeunes militantes féministes, qui font du sang des règles une véritable bannière. C’est le cas d’une jeune association lausannoise, l’ASCE (Association de sensibilisation aux comportements égalitaires), qui organise régulièrement des ateliers «d’empouvoirement menstruel». «J’ai moi-même un parcours qui m’a amenée à me poser des questions, raconte sa coprésidente, Élise Dottrens. Les règles ne se vivent pas facilement pour tout le monde et je trouve fou qu’il y ait encore des gynécologues pour nous dire de serrer les dents et que tout se passe dans notre tête.»
Alors que l’enjeu de la précarité menstruelle monte en puissance sur la scène politique (voir encadré), l’ASCE s’est aussi fait connaître en militant pour la mise à disposition de protections menstruelles dans les gymnases lausannois et en plaidant pour leur gratuité universelle. Un activisme menstruel que Rañute partage à sa façon. Avec chaque achat, les clientes du magasin peuvent faire un don qui permettra de fournir des produits à des associations locales au service des personnes vulnérables ou migrantes. En outre, une semaine par mois, la TVA, d’ordinaire de 7,7%, sera réduite à 2,5%, comme le demandent nombre de militantes pour le droit des femmes.
Rañute, Rue de l’avenir 9, à Renens, www.ranute.ch
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