Sorties livres et BDModiano, Tesson, MarieMo, Bashô et autres grands voyageurs à lire
De la vallée de Chevreuse à Mars ou les zones polaires, des oeuvres qui ouvrent des horizons.
«Les mains glacées», récit d’exploration
Bande dessinée Passer une résidence d’un mois sur Knut, un voilier d’exploration de 15 mètres, dans les régions polaires, c’est ce que propose MaréMotrice à des artistes d’ici et d’ailleurs. La Biennoise MarieMo a ainsi touché l’ouest du Groenland en 2018. La «bédéaste idéaliste»y a trouvé de quoi alimenter son œuvre engagée pour la sauvegarde de la nature.


Après plusieurs expositions, «Les mains glacées» sort en album dans une succession de croquis, de courtes planches un peu impressionnistes. La poésie y règne, l’humour y fait des apparitions délicates, et l’ensemble dégage une nostalgie d’un monde qui s’abîme. On sent la rudesse du climat, la lumière incroyable qui éclaire ces glaces, et la présence humaine qui y laisse sa trace. Et MarieMo n’y verra donc jamais ces morses qu’elle espérait tant voir. DMOG
«Les mains glacées»
MarieMo
Éd. Antipodes, 88 p.
«Mars», journal de bord illustré

Carnet Il y avait une évidence à associer l’écrivain voyageur Sylvain Tesson au bédéaste explorateur François Schuiten. De là à les expédier sur Mars… Alors que, de «Dune» à «Foundation», resurgissent les pires prophéties d’écrivains visionnaires, l’auteur de «La panthère des neiges» imagine un XXIIe siècle apocalyptique.

Les varans de Komodo paissent dans les décharges de l’Everest, les chameaux dans les savanes du Canada. Sur Terre, un consortium de sept femmes gouverne des tribus troglodytiques. La survie de l’espèce humaine se profile sur Mars, via des «utéropoles».
Une mission scientifique est expédiée sur la planète rouge, histoire de découvrir si l’espèce humaine pourrait s’y reloger et se perpétuer. François Schuiten, dessinateur féru d’urbanisme visionnaire, plante le décor avec un réalisme stupéfiant. Et nos explorateurs de méditer sur le destin…

Au retour de 161 jours édifiants, un constat: «Mentir à ceux qui vous trompent n’est pas un péché.» Au vu des dessins, ça se comprend mieux. Pourquoi aller polluer cette planète? Pour le premier tandem de la collection Travel Book, l’éditeur mécène Louis Vuitton réussit un coup de maître sur la nécessité de freiner la société de consommation. Ironie souveraine… CLE
Schuiten & Tesson
«Mars»
Ed. Louis Vuitton, 176 p.
«Chevreuse», Modiano pur jus

Roman À 76 ans, Patrick Modiano s’obstine à cadenasser ses mélancolies dans des phrases véloces qui découvrent des fantômes toujours plus tangibles. Attrapez-le au hasard d’une déambulation: «À cette époque, il n’avait cessé de marcher à travers Paris dans une lumière qui donnait aux personnes qu’il croisait et aux rues une très vive phosphorescence.»
Jean Bosmans, en alter ego de l’auteur, fouille la réalité crue, nue, d’une maison glauque de son enfance, de personnages peu recommandables. Aussi magicien qu’une voix off dans un film de Truffaut, ce romancier documentariste de l’infime convie des âmes déjà maudites dans «Remise de peine» (1991) ou «Un pedigree» (2005). Les aficionados de la petite musique sacrée par le Nobel, devinent une gravité sinistre et pourtant jamais pesante. Seuls les silences s’impriment dans ce récit tendu sur les béances vociférantes de la mémoire. CLE
«Chevreuse»
Patrick Modiano
Éd. Gallimard, 159 p.

«Sur la route avec Bashò», choc de civilisation
Roman graphique Académicien toujours aussi inclassable, perché entre les continents et les âges, Dany Laferrière, 68 ans, se réinvente dans ses carnets dessinés, toujours en butte aux stéréotypes. Son troisième journal, après «Autoportrait de Paris avec chat » et « L’exil vaut le voyage », s’aventure sur une piste nonchalante, celle de Bashô, moine poète japonais du 17e s.

Avec un humour noir, l’homme de lettres ne se proclama-t-il pas en 2008 en gentleman à l’ironie assumée: «Je suis un écrivain japonais». L’écrivain de Port-au-Prince manie ici le haïku en contorsions graphiques libres et jubilatoires. Qu’il griffe la page à l’encre de ses humeurs sombres ou joyeuses, ou la détrempe avec des larmes de joyeux courage, l’artiste enthousiasme.

Fidèle à ses inspirations, le rêveur dérive entre ses divines muses, Jean Rhys et les autres, honore ses autels vaudous avec érudition, raconte le monde «sans pitié» par le petit bout de la lorgnette. Prêt à cueillir l’absurdité des humains comme à humer la grâce de l’un ou l’autre spécimens d’exception, le glaneur offre en bouquet ses réflexions.

Grâce à ces journaux intimes aux bourrasques colorées de fleurs et de filles, éclaboussées de colère et d’amour, il devient facile de croire, comme le disait Pavese, que «c’est un métier de vivre». Parce qu’il suffit de suivre Laferrière pour que la tâche s’allège. CLE
Dany Laferrière
«Sur la route avec Bashô»
Ed. Grasset, 384 p.
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