Le streaming vidéo tue la planète à petit feu
En pleine croissance, le streaming relâche dans l’atmosphère autant de CO2 qu’un pays comme l’Espagne. L’arrivée d'Apple et Disney ne va rien arranger.

Alors que les voyageurs commencent à se détourner des transports aériens au nom de la protection de l’environnement (en Suède, le mouvement a même donné lieu au flygskam, la honte de prendre l’avion), c’est au tour du streaming vidéo de se retrouver sur la sellette. Serons-nous bientôt pointés du doigt pour notre consommation de vidéos ou de musique en ligne? Pas impossible.
Aujourd’hui, on peut tout voir et écouter avec internet, le streaming et les connexions haut débit nous permettant de profiter de séries, films et musique instantanément, sans même avoir à attendre que tout soit téléchargé. On s’est dit, un temps, que cette dématérialisation des supports était plus écolo que d’acheter un DVD ou un CD fabriqué à l’autre bout du monde, avec son boîtier et sa galette en plastique. Mais on réalise aujourd’hui que le stockage de ces milliards de données dans les fameux data centers est excessivement gourmand en énergie.
Le streaming seul serait responsable de 1% des émissions de CO2 sur la planète
Ces gigantesques fermes numériques nécessitent en effet d’être refroidies en permanence, et les données d’être acheminées dans nos box personnelles par le biais de réseaux et serveurs. Selon un rapport du groupe de recherche français Shift Project publié en juillet dernier, le streaming seul serait responsable de 1% des émissions de CO2 sur la planète, avec 304 millions de tonnes par an. L’équivalent de ce que rejette un pays comme l’Espagne.
«Depuis la publication du rapport, la compréhension de la problématique a beaucoup évolué, nous explique Maxime Efoui-Hess, son auteur principal. On voulait faire comprendre que le streaming n’est pas quelque chose de virtuel. Ce rapport a non seulement sensibilisé le consommateur, mais aussi les différents acteurs de réseaux, opérateurs et fournisseurs de service, qui ont manifesté leur intérêt pour trouver des solutions.»
Augmentation constante
Car avec une offre de streaming en constante multiplication, la situation devient alarmante. Outre Netflix, dont le nombre d’abonnés vient de passer à 158 millions au troisième trimestre, le marché vient d’accueillir deux nouveaux mastodontes, Apple et Disney, tandis que d’autres se profilent. Et on ne parle pas des sites de musique fournissant de plus en plus de fichiers Hi-Res, qui font exploser les débits, ni des plateformes de jeux vidéo, comme Apple Arcade, lancée en septembre dernier.
La pollution engendrée par ces services a beau être invisible, elle n’en est pas moins réelle et nocive. Selon Shift Project, la facture totale du numérique est d’ailleurs en train de dépasser le secteur de l’aviation civile, avec 4% des gaz à effet de serre du monde, et pourrait doubler d’ici à 2025, pour rejoindre la part occupée aujourd’hui par l’usage de la voiture.
Principal coupable? Le streaming vidéo, donc, à l’origine du 60% de ces émissions. C’est la vidéo à la demande (VOD) – Amazon, Netflix et maintenant Apple et Disney – qui domine avec 34% du total, soit 102 millions de tonnes de CO2 rejetées dans l’atmosphère. Viennent ensuite les vidéos issues des sites pornographiques (27%), puis les hébergeurs internet – YouTube, Daily Motion ou encore Vimeo – (21%), et enfin les «autres», comprenant notamment les vidéos échangées sur les réseaux sociaux (18%).
????Notre consommation #numérique croît fortement. @epicpresence cite notre rapport : le numérique compte pour près de 4% des #émissions mondiales de #CO2 aujourd’hui. Bientôt 5% si l’on ne donne pas priorité aux usages collectivement jugé les + pertinents. https://t.co/oZgPNXaLj5
— The Shift Project (@theShiftPR0JECT) November 13, 2019
Mais qu’en est-il exactement du coût environnemental d’une séquence visionnée sur le Net? Pour aider les internautes à prendre conscience de leur empreinte carbone, Shift Project propose de télécharger Carbonalyzer, une extension de navigateur internet (malheureusement uniquement disponible pour Mozilla) qui mesure la pollution de notre activité sur la Toile. Il suffit de lancer une vidéo pour voir s’afficher notre production de CO2 en temps réel.
Ce qu’on a fait: après une heure d’un documentaire en définition standard (720p), on a ainsi libéré 28 g de gaz carbonique dans l’atmosphère, soit l’équivalent de 240 mètres parcourus en voiture. Mais les chiffres explosent lorsque l’on passe en haute définition: 690 g de CO2 en 4K (3,2 km en voiture); 1590 g en 8K (7,3 km)!
Source: YouTube
«Prôner la sobriété»
Alors que faire pour baisser la facture environnementale? Du côté des internautes, peu de chose. Tout au plus, Maxime Efoui-Hess préconise-t-il de préférer le téléchargement au streaming, de stocker ses données sur un disque externe plutôt que dans le Cloud, ou de privilégier le visionnage de vidéos en basse résolution.
«L’idée de ce rapport est justement d’identifier les aspects où l’on peut économiser sans que ce soit douloureux pour le consommateur, continue-t-il. On prône ainsi la sobriété numérique. Baisser au maximum la résolution d’une vidéo visionnée, du moins sans que l’on ait l’impression de ne plus profiter du contenu, c’est un début.»
Mais le consommateur qui vient de dépenser 4000 francs pour un téléviseur haut de gamme acceptera-t-il d’y afficher une résolution médiocre?
Mesures insuffisantes
Le rapport pointe aussi du doigt les sites internet qui abritent des petites vidéos se déclenchant automatiquement à la lecture, que ce soit sur YouTube ou Instagram, ou encore celles qui suivent l’internaute lorsque celui-ci navigue verticalement dans une page. Comme quoi, les améliorations doivent aussi venir des designers de sites.
Mais la plus grosse inquiétude vient évidemment des hébergeurs de contenu et de la prolifération de leurs data centers. Ceux-ci font pourtant des efforts. Ainsi, la société Amazon Web Services, qui alimente toute une série de clients, de la maison mère à Netflix, a annoncé vouloir réduire ses émissions de carbone et atteindre une consommation d’énergie renouvelable de 80% d’ici à 2024, et 100% d’ici à 2030.
Le tout grâce à de nombreux projets d’énergie renouvelable éolienne et solaire à grande échelle. Même combat du côté de Google, qui déclarait, il y a deux mois, avoir signé de nouveaux accords énergétiques afin de compenser entièrement sa consommation en électricité annuelle avec des énergies renouvelables. L’an passé, le géant de Mountain View avait même investi 700 millions de dollars dans la construction d’un data center vert dopé à l’intelligence artificielle.
«Le problème, c’est que ça ne suffit pas, précise Maxime Efoui-Hess. Quand leurs usines se branchent sur le réseau, ils consomment de l’électricité comme tout le monde. Alors oui, ils financent des projets d’énergie verte, mais dans la plupart des cas loin de leurs data centers. Ce qui fait qu’on ne diminue pas les émissions: on limite simplement leur augmentation. En gros, on évite de construire une nouvelle centrale à charbon alors qu’implanter une éolienne devrait plutôt permettre d’éteindre une centrale quelque part. Et au final, ça ne sert à rien. Ils font des efforts, on ne crache pas dessus, mais ce qu’il faut maintenant, c’est une nette diminution.»
Créé: 21.11.2019, 12h15
En chiffres
304
En millions de tonnes, le poids annuel des émissions de CO2 dû au seul streaming, soit 1% des émissions mondiales.
1590
En grammes, le poids de gaz carbonique libéré dans l’atmosphère après une heure de visionnage d’un documentaire en haute définition (8K), soit l’équivalent de 7,3 km parcourus en voiture.
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