«Mozart & Debussy», le couple improbable
Un festival investit la Salle del Castillo, à Vevey, pour honorer Debussy, disparu il y a 100 ans, dans un assemblage intrigant.

Christophe Schenk n'en est pas à son coup d'essai en matière de programmation musicale mais le vigneron mélomane de Villeneuve arrive toujours à surprendre avec des propositions insolites. Si, dans son quotidien d'artisan, il livre chaque année un millésime racé, ses festivals de musique classique mûrissent plus longuement pour déboucher sur des concepts aussi originaux que stimulants.
Ainsi, dès 2005, il rassemblait toutes les pages composées par Schubert l'année de sa mort. Trois ans plus tard, il associait Mozart à Messiaen, passant ensuite à l'intégrale des sonates et quatuors de Beethoven. En 2013, il ressuscitait l'Hôtel Righi vaudois de Glion le temps d'un «Aimez-vous Brahms?» puis revenait à Beethoven il y a deux ans, avec ses concertos pour piano et ses trios.
Son nouvel opus, à découvrir du jeudi 8 au dimanche 11 novembre à la Salle del Castillo de Vevey, ose le grand écart: l'exploration de pans de l'œuvre pour piano de Debussy, associés à une sélection de concertos pour piano de Mozart. A priori, tout oppose le maître du classicisme et le révolutionnaire taxé d'impressionnisme, le volubile Autrichien et le Français misanthrope. Idée saugrenue ou couplage fécond?
Interprètes de premier plan
L'envie de réunir ces deux esprits forts date déjà d'il y a une vingtaine d'années. Elle s'est imposée à Christophe Schenk à l'issue de la série «Beethoven 5x7» en 2016. «Nous avions passé de nombreuses années dans la musique très construite et les rythmes masculins de Brahms et Beethoven. J'avais besoin d'espace, de couleurs, de sensations et de quelque chose de plus féminin.» Debussy s'imposait, mais, selon Christophe Schenk, sa musique se prête difficilement à une intégrale. Rien en lui n'appelle une célébration exhaustive. Le mettre en résonance avec Mozart permettait de souligner leurs sources d'inspirations communes: «Debussy avait une belle vénération pour Mozart et j'ai l'intuition que le théâtre intime des concertos peut entrer en dialogue avec sa propre quête de liberté.»
Ce tête-à-tête paradoxal aura le mérite de confronter deux univers immédiatement reconnaissables, avec des interprètes de premier plan: les pianistes français Claire Désert, Emmanuel Strosser, Delphine Bardin et Alain Planès; le pianiste allemand Peter Rösel et ses collègues des Dresdner Kapellsolisten.
Pour enrichir ce parallèle constant entre les deux cultures et le vivre en immersion totale, le festival permet aussi aux spectateurs des concerts de se régaler de confiseries et viennoiseries choisies avec le même soin délicat que le menu musical. Et si «Mozart & Debussy» était un assemblage? «Ce serait du vin blanc certainement, réfléchit Christophe Schenk en dégustateur. Peut-être un sauvignon blanc et un sémillon.» De la clarté, de la transparence et des arômes puissants: un grand cru, c'est certain.
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Delphine Bardin, pianiste

«Une pensée très large»
«C'est une idée formidable, lance Delphine Bardin, qu'a eue Christophe Schenk de mettre ensemble Mozart et Debussy. Peu d'organisateurs de concert ont des propositions aussi originales. Je le connais depuis vingt ans et j'ai toujours été impressionnée par ses connaissances sur les compositeurs, et la profondeur de ses choix.» La pianiste avait profondément ému Christophe Schenk lors du Concours Clara Haskil à Vevey en 1997, qu'elle a remporté, et où elle avait joué un «17e Concerto» d'anthologie de Mozart, selon son admirateur. Depuis, la musicienne française née en 1974, a participé à tous ses festivals, à l'exception de l'intégrale des «Sonates» de Beethoven, défendue par Peter Rösel. «Au départ, j'ai été étonnée par l'association de Mozart et Debussy, reconnaît-elle, même s'il m'est déjà arrivé de jouer les deux compositeurs au même concert sans forcément les lier. En vue de ce festival, j'ai joué une sonate de Mozart et le premier livre des «Études» à New York en septembre, mais il y avait du Schumann entre deux. Leurs musiques sont sobres et riches en même temps.»
Pour «Debussy & Mozart», Christophe Schenk a concocté un programme gigantesque, avec trois concertos pour piano, l'intégrale des «Images» et des «Études» de Debussy. La Tourangelle se réjouit infiniment de dessiner ce parcours à travers les concertos de Mozart, du «5e» (le premier véritablement original de sa plume, à 17 ans), à l'ultime «27e», en passant par le secret «15e». «Je vois dans le «5e concerto» une ouverture sur un monde nouveau, qui se mariera très bien avec le charme encore immédiat des «Images». Le dernier concerto et les «Études» marquent la dernière étape créatrice des deux compositeurs, vers un grand dépouillement et une grande solitude. Une pensée très large et très concentrée s'y déploie, qui va à l'essentiel, sans une note superflue.» En doutant toujours d'arriver à traduire l'ampleur de ces pages, Delphine Bardin y recherche la transparence, la limpidité et le mystère.

Si le piano seul est l'univers de prédilection de Debussy, Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) trouve dans le genre du concerto pour piano et orchestre son moyen d'expression favori. À la fois journal intime et laboratoire de ses opéras, le compositeur autrichien y développe un art du dialogue, de l'allégresse et de l'intériorité, qui traverse toute sa vie.
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Alain Planès, pianiste

«Il invente un monde»
Parmi la pléiade des pianistes français, Alain Planès est certainement l'un de ceux qui a le plus d'affinités avec Claude Debussy. Son intégrale de l'œuvre pour piano longuement mûrie chez Harmonia Mundi (1996-2006) témoignait déjà d'un accomplissement, lui qui découvrait à l'âge de 9 ans l'«Arabesque» et «Children's Corner», tombant définitivement amoureux de cette musique. «La musique de Debussy vit en moi depuis plus de 50 ans, confie le musicien né à Lyon en 1948. Il faut dire que j'ai eu la grande chance d'avoir Jacques Février pour professeur. Il avait été l'élève de Ricardo Viñes, créateur de la plupart des pages pour piano de Debussy, et de Marguerite Long, qui a été aussi très proche de lui. C'est par ces sources orales que l'on m'a transmis l'art de toucher la pédale comme Debussy le pratiquait.»
Alain Planès rappelle que Debussy, qui était attiré par le symbolisme, n'appréciait guère l'étiquette «impressionniste» qu'on avait collée à ses œuvres. Il détestait les pianistes «qui noient ma musique dans la pédale pour mieux l'égorger». Pas étonnant dès lors que le jeu d'Alain Planès soit très économe en pédale, mais d'une lisibilité totale. Car si poétique que soit son langage, son interprétation ne supporte aucun flou. L'interprète, exigeant de musique contemporaine, poursuit sans relâche son compagnonnage avec les sortilèges debussyste, alignant jusqu'à ces derniers mois plusieurs séries d'intégrales en concert. «Paradoxalement, je me sens plus libre en la jouant aujourd'hui. Avec l'âge, je me suis débarrassé de toutes sortes de carcans. C'est comme si j'improvisais ces partitions.»
Pour «Mozart & Debussy», Alain Planès ne jouera pas Mozart, mais les deux livres de «Préludes» de Debussy, étape charnière de son écriture. «Les œuvres précédentes étaient encore influencées par des modèles. Là, il invente un monde extraordinaire, il atteint «l'alchimie sonore» qu'il a si longtemps recherchée. Et dans le dernier prélude, «Feux d'artifice», il disloque le piano dans tous les sens.»

L'œuvre complète de Claude Debussy (1862-1918) n'est pas très copieuse, mais d'une densité folle. En quelques années, il révolutionne tous les genres qu'il aborde: le piano, la musique de chambre, la mélodie, l'orchestre, l'opéra. Mais une révolution toute en douceur, qui fait passer la musique, l'air de rien, de Chopin à la modernité du XXe siècle.
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