Première expo muséale en soloNatacha Donzé entre dans la lumière
Que ce soit avec une première exposition muséale, à La Chaux-de-Fonds, ou dans sa manière d’habiter l’espace peint, l’artiste trentenaire met le feu. Brûlant!

Vite… il faut aller à La Chaux-de-Fonds! Il reste encore quelques jours jusqu’à la fin du mois pour vivre l’expérience de l’art monumental de Natacha Donzé. Et c’est promis, l’aventure s’avère incandescente. Rien à voir avec une belle formule qui serait liée à la couleur feu et braise ardente qui traverse l’œuvre de la Lausannoise: une fois dans les salles, il s’agit réellement d’une histoire de ressenti. De trouble et, à la fois, de tentation. «J’avais vraiment les lieux en tête et leur histoire muséale avant de commencer à travailler sur les pièces, elles sont venues après», glisse la gracile trentenaire, qui a pris d’assaut l’espace avec une énergie herculéenne.
«J’avais vraiment les lieux en tête et leur histoire muséale avant de commencer à travailler sur les pièces, elles sont venues après.»

On avance vers ces toiles constellées de feux follets ou de flammèches entrées en transe et on recule devant celles, grillagées, qui tentent de retenir l’embrasement: la beauté a jeté son emprise, une beauté fulminante et persistante. Ambivalente? Bien sûr. Inquiétante? Aussi. D’autant qu’il est totalement anachronique de parler de beauté, concept si peu couru parmi les tenants de l’art en train de se faire! Il n’empêche que c’est avec un réel bonheur des yeux et de l’âme qu’on se laisse prendre dans ses pièges.

«Dans la beauté, c’est l’idée de séduction qui m’attire, abonde Natacha Donzé en pleine conscience de ses effets. Je suis dans la création d’images volontairement séduisantes alors qu’elles côtoient des thématiques graves comme l’effondrement, la dislocation ou le chaos. C’est justement cette juxtaposition qui m’intéresse.» Avis aux plus perspicaces, l’indice est déjà dans le titre de l’expo comme de l’œuvre qui est en première ligne: ces «Festins» promettant abondance et volupté. Sans oublier le plaisir! Et… peut-être le gaspi? Ou l’idée d’un grand final, d’une dernière Cène?
Le plein de références
L’artiste au timbre de voix gravé dans les basses trempe son cran d’illusionniste dans un brassage éclectique de références: le cinéma, les sciences, l’imagerie populaire, les croyances séculaires ou encore l’histoire de l’art. Toutes se déconstruisent et sédimentent une apparence singulière, ni pleinement figurative, ni totalement abstraite. Les sensations valsent, le fantastique, le baroque, le romantique, le funeste, et on en vient à se demander si cette ligne de feu qui sillonne les 4 mètres 50 de «Festins» en potentiel danger pour la nature environnante ne serait pas plutôt une lance douée de superpouvoirs? Ou la capture de la vitesse de la lumière par un matériel photographique ultrasophistiqué? Ou encore un discours sur la fugacité? Ou tout simplement un chemin de table lumineux, dernier vestige d’un banquet dont les convives auraient déjà quitté la table?

Les grands formats de la Lausannoise, formée au design textile à Paris avant de se reconvertir à l’ECAL dans une voie plus indépendante artistiquement, se présentent comme des espaces où les questions se déposent. Sans s’imposer! Il y a cette chaleur apocalyptique qui brûle les idées, cette tâche – de pétrole? – aux velléités tentaculaires. Il y a aussi ces mouches qui dansent avec la lumière, en insectes pas si innocents que ça! Il y a encore «Gathering into Order», l’une des premières toiles qui viennent au choc avec notre imaginaire, dressée dans l’espace pour l’obstruer physiquement.

Le grillage peint ajoute encore une couche. Celle de la protection ou de la censure? Derrière lui, le néant se profile comme une zone de réflexion. Dosé avec ce sens de la poésie et de la déliquescence propre au XVIIIe siècle, l’art très contemporain de Natacha Donzé ne questionne pas dans le vide, il offre ce choix de s’arrêter, de profiter de la beauté et de s’évader dans la réflexion. On l’aura compris, l’exposition emballe d’autant plus que c’est la première en solo dans une institution pour la trentenaire déjà montrée en galerie à Paris ou à New York.
«Je suis dans la création d’images volontairement séduisantes alors qu’elles côtoient des thématiques graves comme l’effondrement, la dislocation ou le chaos. C’est justement cette juxtaposition qui m’intéresse.»

L’invitation est venue suite à son Prix jeune talent de la Biennale d’art contemporain 2018 du Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds (l’actuelle édition est en cours jusqu’au 12 septembre). Un temps… l’artiste envisageait de reprendre ses études, mais l’appel des cimaises en a décidé autrement. «C’est vrai que les projets s’enchaînent, apprécie-t-elle. Avec un accrochage à plusieurs chez Lange & Pult à Zurich, le deuxième volet d’une présentation qui va débuter en septembre à Munich alors que cette expo, ici, rebondit sur d’autres projets. C’est génial!»
La Chaux-de-Fonds, Musée des beaux-arts
Jusqu’au 29 août,
du ma au di (10 h-17 h)
www.chaux-de-fonds.ch/musees/mba
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