Une pièce de théâtre à lireNeil Armstrong en crise existentielle
La pièce «Neil» de Benjamin Knobil devait être créée en novembre au 2.21. En attendant son report, le texte fraîchement publié vaut le détour.

L’instant est solennel, historique. Neil Armstrong est sur le point de poser le pied sur la Lune. «Un petit pas pour l’Homme…». Mais au moment de fouler le sol lunaire, le doute le prend. Son nez le gratte, sa respiration s’affaiblit. Finalement, tout cela n’est-il pas vain? À quoi bon être un héros de l’humanité quand sa fille de 2 ans, Karen, a été vaincue par le cancer? L’astronaute vacille. Une constellation de questions l’assaille. «Pourquoi cette mort isolée dans le vide galactique?» Pendant ce temps-là, Buzz Aldrin s’impatiente: «Neil continue à avoir ses vapeurs métaphysiques et ne veut toujours pas poser son putain de pied sur la lune. Over!» lance-t-il à Michael Collins.
L’histoire est à la fois loufoque et déchirante. Né de l’imagination fertile de Benjamin Knobil, auteur et metteur en scène, «Neil» dépeint les états d’âme d’un homme, d’un père, d’un scientifique en proie à une crise existentielle. La pièce devait être créée en novembre dernier au Théâtre 2.21 à Lausanne, dans une mise en scène de Dylan Ferreux, mais les mesures sanitaires en ont décidé autrement. En attendant le report du spectacle, le texte publié aux Éditions BSN Press nous emmène sur orbite. Joyeusement métaphysique, la pièce disserte sur la place de l’Homme dans le cosmos avec humour, tendresse et intelligence. Savoureuse, cette sortie de Blaise Pascal mué en Douanier céleste: «Vous êtes en état d’arrestation, incapable de voir le néant dont vous êtes tiré et l’infini où vous êtes englouti.»
La bouse de l’univers
Plongé dans ses rêveries cosmiques, Neil Armstrong est pris d’hallucinations où défilent des personnages tantôt illustres tantôt farfelus et les membres de sa famille. Sa femme Janet, son fils Mark et sa fille Karen, Martin Luther King, Richard Nixon, la chienne Laïka ou Monsieur Loyal Sélénite du Grand cirque lunaire l’interpellent, balaient ses certitudes et l’entraînent dans une danse interstellaire dans de courtes scènes. Ces capsules théâtrales rythmées comme une pluie d’étoiles filantes sont autant d’étapes d’un cheminement intérieur. Sur la dernière marche de l’échelle du module lunaire, Armstrong a-t-il retrouvé la lucidité lorsqu’il chuchote, à bout de forces, que «la lune est une manifestation de l’enfer»?
La pièce s’achève sur une conversation de Neil avec Nietzsche, sous les traits d’un éleveur de vaches multicolores. Lequel nous laisse cogiter sur une phrase aussi cocasse que philosophique: «L’homme est au mieux une mouche sur la bouse de l’univers.» Over!
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