Nous sommes toutes des femmes syriennes
Entretien avec Gaya Jiji, réalisatrice de Damas dont le film «Mon tissu préféré» sort en Suisse.

Le premier long métrage de Gaya Jiji, présenté l'an dernier à Cannes dans la section Un Certain Regard, avait tout pour attirer l'attention. Croisant l'évocation des premiers troubles syriens avec le destin contrarié d'une jeune femme, «Mon tissu préféré» emmène le féminisme dans les soubresauts de l'actualité. La réalisatrice de Damas émigrée à Paris n'est pourtant pas tombée dans le piège du film de circonstances, dénonciateur ou teinté de documentaire, même si de rares séquences ont été empruntées à YouTube. D'une scène à l'autre – qui toutes racontent une tension, un non-dit, un espoir douloureux –, Gaya Jiji revendique une œuvre de cinéma et non une production de plus sur les conflits qui ravagent la Syrie. Nahla, sa jeune héroïne de 25 ans, n'est pas le prétexte à une analyse politique mais le portrait sensible d'une femme rétive face à l'impondérable condition humaine.
Vous avez dit: «Nahla, c'est moi». À quel point ce personnage s'apparente-t-il à vous?
Le film est intimiste et personnel, mais il n'est pas autobiographique. Nahla, c'est moi dans le rapport d'un parcours psychologique, d'une recherche de liberté sexuelle et politique. Je suis passée par ces étapes de développement d'une identité.
Votre film n'évoque pas seulement les jeunes femmes, mais plusieurs générations…
J'ai voulu montrer plusieurs facettes féminines. Mais toutes ont en commun de défendre leur existence à leur façon. Nahla représente une évolution de la jeunesse en Syrie, une nouvelle génération qui vit des tiraillements entre ses désirs et la société. Mais l'une de ses sœurs accepte ce qui lui est imposé. De l'autre côté, leur mère mène sa vie selon les raisons de la société, alors que Mme Jiji, plus âgée également, vit sans entraves.
Pourquoi avoir donné votre nom à ce personnage affranchi, marginal?
C'est un peu anecdotique, mais, petite, j'ai eu des problèmes avec mon nom, un peu bizarre, qui ne sonne pas très syrien. J'ai pensé qu'il irait bien à une femme maquerelle assumant son étrangeté.
Madame Jiji permet aussi d'ouvrir une dimension onirique, symbolique?
Tout à fait et c'est flagrant visuellement entre l'appartement familial et celui de Mme Jiji, situé au-dessus. Quand Nahla y monte, elle passe une étape supérieure dans la découverte de son corps, de la sexualité. Elle entre dans un monde où tout est permis, possible. Elle y trouve une chambre pour rêver, tout simplement. Comme le disait Virginia Woolf, chaque femme devrait avoir une chambre à soi…
Vous tournez aussi beaucoup autour du motif du secret?
La société orientale est marquée par le non-dit. On parle et crie beaucoup, mais l'on n'exprime jamais ce que l'on ressent.
Votre film a-t-il été montré en Orient?
Pour le moment, il n'a eu droit qu'à une projection orpheline au festival du Caire, en Égypte. Les retours ont été assez violents. Le public arabe a du mal à faire face aux scènes de nudité, de sexe. Des questions qui habitent chacun d'entre nous et qu'il faut pouvoir affronter si l'on veut avancer. Les femmes de 30-35 ans ont beaucoup aimé le film, elles se sont retrouvées en Nahla. Le problème demeure le regard porté sur le corps féminin.
Sa représentation fait toujours partie des tabous?
Mon but était de sortir de cette pudeur du cinéma arabe, de montrer le corps avec sensibilité, esthétisme, mais sans tomber dans la vulgarité, les normes standardisées. Mon actrice, Manal Issa, a pris 10 kilos pour le rôle. Pour être belle, pas besoin d'être enfermée dans le cadre d'une dictature de la beauté.
En tant que cinéaste syrienne, avez-vous profité d'une discrimination positive liée à l'actualité du pays?
C'est sûr que l'on s'intéresse plus à un projet lié à cette région du monde. La curiosité est d'autant plus grande s'il est porté par une femme. Mais cet intérêt est à double tranchant, je l'ai senti à Cannes l'an dernier. On se retrouve aussi face à de la discrimination négative. D'une femme de cette région on attend un certain cinéma, social, ancré dans la réalité, notamment celle de la guerre. Traiter un contexte politique d'une manière particulière, non-classique, suscite aussi des réactions violentes contre un film qui sort de ce cadre. La critique n'est pas toujours prête à accueillir un cinéma épris de liberté en provenance de Syrie. À en croire certains, je n'aurais ainsi pas le droit de m'inspirer de Buñuel!
La révolte de Nahla dérange aussi?
Elle apprend beaucoup. Nahla est violente, pas sympathique, mais fragile en même temps. J'entends souvent ce reproche d'antipathie… Pourquoi? Il y a beaucoup de contradictions en elle et ce n'est pas parce qu'elle est syrienne que mon héroïne devrait être un ange ou une victime.
Cet article a été automatiquement importé de notre ancien système de gestion de contenu vers notre nouveau site web. Il est possible qu'il comporte quelques erreurs de mise en page. Veuillez nous signaler toute erreur à community-feedback@tamedia.ch. Nous vous remercions de votre compréhension et votre collaboration.