Soutien à la culture«On a l’impression d’avoir été bernés»
En pleine crise du Covid-19, le chômage partiel ne sera accordé qu’au prorata de la part non subventionnée des institutions culturelles. Passé la douche froide, le milieu n’entend pas se résigner.

«Après les promesses de la Confédération, c’est la douche froide!» En une phrase, Jean Ellgass, directeur exécutif du Béjart Ballet Lausanne, décrit l’atmosphère morose qui a embaumé les institutions culturelles vaudoises. Le couperet est tombé la semaine dernière: après une première réponse positive, le chômage partiel ne sera finalement accordé au BBL qu’au prorata de sa part non subventionnée. Ainsi en a décidé le Canton, selon les directives du Secrétariat d’État à l’économie (SECO): les entités soutenues par les collectivités publiques ne percevront que partiellement les RHT (réductions des heures de travail) tant espérées. Secrétaire générale du Syndicat suisse romand du spectacle (SSRS), Anne Papilloud fulmine. «Ce qui nous fâche le plus, c’est la dissonance entre les annonces du Conseil fédéral sur la mise à disposition rapide de moyens et le recours au RHT pour tout le monde, et la réalité de la mise en œuvre. On a l’impression d’avoir été bernés!» Dans le milieu, tous partagent ce sentiment d’être le dindon de la farce.
Enveloppe insuffisante
«En somme, on nous explique qu’il n’y a pas de risque pour les emplois car ceux-ci sont garantis par les subventions. Cela reporte donc la charge économique sur les collectivités publiques», résume Patrick Mangold, avocat spécialiste du droit du travail et danseur. Au bout du fil, Grégoire Junod, syndic de Lausanne, réitère sa prise de position sur les ondes de la RTS, dimanche soir. «Les acteurs culturels feront davantage recours au fonds spécial d’indemnisation débloqué par la Confédération et le Canton, mais l’enveloppe pourrait bien se révéler insuffisante, présume l’élu. À la fin, cela se reportera sur les acteurs culturels et les Communes. On nous traite comme des vaches à lait, alors que les Villes seront financièrement très affectées par le Covid-19.» Et de souligner un paradoxe: «Au début de la crise, la Confédération a appelé Communes et Cantons à maintenir leurs subventions, c’était un message positif et nous l’avons suivi. Or, si nous le l’avions pas fait, peut-être que les RHT entreraient en vigueur. C’est absurde.»
Rétropédalage
Dans le microcosme culturel vaudois, l’inquiétude était palpable depuis plusieurs semaines. Il faut dire que les démarches se sont révélées dignes d’une intrigue à suspense dont les acteurs se seraient volontiers passés. Alors que certains Cantons ont très vite répondu et accordé l’entier du chômage partiel aux institutions, Vaud a tergiversé. Mais peut-être a-t-il eu raison. Car deux directives émises par le SECO enjoignaient à examiner les situations au cas par cas, puis à ne pas accorder l’entier des RHT aux institutions subventionnées, explique Anne Papilloud. «Vaud a très vite senti qu’il y avait un problème. À l’inverse, certains cantons ont dû rétropédaler.»
«On nous traite comme des vaches à lait, alors que la Ville fera un déficit extrêmement important en 2020»
Sentence jugée absurde
Privé d’une partie de l’appui espéré, Patrick de Rham, directeur de l’Arsenic, à Lausanne, s’avoue circonspect et trahi face à une sentence qu’il juge absurde. «Le rôle des RHT est de faire tourner un théâtre pour éviter de devoir recourir à ses subventions pour couvrir ses frais au lieu d’en faire profiter les projets artistiques. Or il n’est pas question pour nous de lâcher les compagnies.» Alors que l’Arsenic essuie une perte d’environ 130’000 francs depuis le début de la crise, il déplore aussi le temps de latence. «Si j’en avais eu connaissance plus tôt, j’aurais réagi autrement. J’aurais peut-être dû licencier des collaborateurs, confie-t-il. Mais nous aurions aussi mis en place du télétravail pour certains et lancé des travaux au lieu de placer des employés au chômage partiel.»
Déjà fragilisé, le monde culturel se sent d’autant plus négligé que certaines grandes entreprises se sont vu accorder la totalité du chômage partiel. «Des sociétés qui versent des dividendes à leurs actionnaires y ont droit, mais une petite compagnie qui a dû annuler son spectacle devra utiliser ses subventions pour payer les salaires, se désole Anne Papilloud. Par conséquent, les collectivités publiques auront financé des projets artistiques qui ne pourront pas exister.»
Pas de logique juridique
Pour Patrick Mangold, cette décision ne tient pas la route juridiquement. L’homme de loi pointe l’incohérence. «Dans une grande partie des arts de la scène, les RHT n’auraient pas pu être accordés en temps normal, car cette prestation, qui est une alternative aux licenciements, ne s’applique pas aux contrats de durée déterminée, lesquels ne sont pas résiliables. Mais avec la crise le Conseil fédéral les a étendus à ce type de contrats, rappelle-t-il. Aujourd’hui, le SECO semble toutefois être revenu en arrière en arguant que les employés d’une entité subventionnée ne subissent pas de risque imminent de perte d’emploi. Pour moi, il n’y a aucune logique juridique.»
La douche froide passée, la riposte s’organise. Le syndicat mitonne un modèle d’opposition. Du côté du BBL comme de l’Arsenic, on prévoit de déposer un recours. «J’aimerais que les théâtres vaudois s’unissent pour lancer un avis de droit», plaide Patrick de Rham. Grégoire Junod abonde: «J’invite les acteurs culturels à se mobiliser.» Anne Papilloud, elle, estime que le débat doit aussi se mener sur la scène politique. Le syndic de Lausanne en convient: «Je m’approcherai de parlementaires pour relayer ces préoccupations, assure-t-il. Cela s’organisera dans les jours qui viennent et j’espère que nous trouverons un écho favorable.»
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