
L’histoire se passe en 1988, dans le petit collège d’Oulens-sous-Échallens. À une époque où l’on utilisait encore des frottoirs pour effacer le tableau noir, où des savons jaunes en forme de citrons étaient suspendus à côté du lavabo. On apprenait l’allemand avec une méthode révolutionnaire: «Vorwärts» et ses diapositives des Schaudi de Cadolzburg. Une famille bavaroise typique qui mangeait des Schnitzel (prima!). Le papa lisait son journal dans son fauteuil en fumant la pipe, pendant que bobonne préparait à manger. Une famille moderne…
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Un jour donc, notre maître d’éducation physique est arrivé avec un enthousiasme non dissimulé, en tenant une brochure des 20KM de Lausanne. Il nous a proposé de nous inscrire aux 4 km. «Vous verrez, c’est génial et en plus, la participation est gratuite! Qui veut s’inscrire?» Face à nos mines peu motivées d’ados, le pauvre enseignant a dû ravaler sa bonne humeur, après avoir essuyé un retentissant échec. Aucun d’entre nous n’avait levé la main pour accepter la proposition. Il faut dire que la plupart (moi le premier!) râlaient déjà lorsque nous étions soumis au fameux test des 12 minutes, dont le résultat était annoté dans notre petit carnet de gym à spirales. Alors imaginez se taper 4 bornes. Bien trop fatigant!
«À l’école, je ne me souviens plus combien de fois j’ai terminé les fameuses 12 minutes en marchant avec un point sur le côté, pensant être au bout de ma vie.»
L’un d’entre nous avait même argumenté que courir était ennuyeux. «Si au moins on nous donnait un ballon ou une raquette… Mais là, courir dans le vide, à quoi bon?» Pas vraiment fun. La course à pied n’avait pas la cote dans notre classe de 7e année. Durant ma scolarité, je ne me souviens d’ailleurs plus combien de fois j’ai terminé les fameuses 12 minutes en marchant avec un point sur le côté, pensant être au bout de ma vie. Courir aux 20KM n’a pour ainsi dire jamais été une option. Et pourtant, cette année-là, j’ai bien participé aux 20 kils, pour la première fois de ma vie.
Car le lendemain de la visite du maître d’éducation physique, notre maître de classe est arrivé furax devant nous, en apprenant notre refus de nous inscrire à la course. Pour résumer, il nous a fait comprendre que nous étions des enfants gâtés et que par notre refus collectif, nous avions fait de la peine à son collègue. Face au sermon et à la réitération de la proposition de participer à la course, nous avions tous été contraints de lever la main pour y participer, la mort dans l’âme.
T-shirt et TamTam
De cette première expérience, je me souviens du sac en plastique rempli de surprises que nous avions reçu. Il y avait un t-shirt bleu, des flans TamTam et d’autres goodies. Et il y avait surtout la course. Un rigolo m’avait dit sur le parcours que l’arrivée se trouvait à 500 m, alors qu’il restait la moitié de la distance. Mais après 18’ 57” de souffrance, je suis arrivé au terme de mon supplice.
La petite graine semée dans mon esprit par les enseignants d’Oulens-sous-Échallens s’est perdue au fin fond de mon esprit et s’est mise à germer bien des années plus tard. Comme un saumon qui retourne à la rivière où il est né, je suis revenu sur le tartan de Coubertin pour courir les 2 km avec mes enfants, en les portant parfois sur mes épaules, lors du dernier kilomètre. Et puis, en regardant le départ des 10 km, une nouvelle petite graine a germé en moi. Puis une autre, en admirant les coureurs des 20 km. Un bouquet d’épreuves auxquelles j’ai par la suite participé modestement. Et comme un pas en entraînant un autre, j’ai enchaîné avec les courses de Morat-Fribourg, du GP de Berne, de Kerzers, de Sierre-Zinal, du marathon et d’autres événements populaires. Jamais pour défier le chrono, mais plutôt comme une célébration de la vie. Un moment de saluer la chance que l’on a de pouvoir courir librement au milieu de la nature, en respirant à pleins poumons. Autant de privilèges qui m’ont été inculqués un certain jour de 1988, dans un petit collège du Gros-de-Vaud.
On a tous une histoire avec les 20KM de Lausanne.
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Éditorial – On a tous une histoire avec les 20KM de Lausanne