Orphée, un demi-dieu en quête de pureté et d'absolu
Philippe Talbot incarne la figure mythologique dans l'opéra de Gluck. Rencontre.

A peine sorti du déguisement grotesque de la grenouille Platée de Rameau à Dresde, Philippe Talbot est venu empoigner la lyre d'Orphée, le légendaire poète et musicien qui charmait même les bêtes et les pierres par son chant, dans l'opéra fétiche de Christoph Willibald Gluck. À Lausanne, on redécouvrira avec lui la version de Paris (1774) du chef-d'œuvre de Gluck, chantée en français par un ténor et non pas en italien par un contre-ténor ou une mezzosoprano, comme dans la version originale de Vienne en 1762. Une belle consécration pour celui qu'on avait découvert en 2017 dans un petit rôle de «La vie parisienne» d'Offenbach, un Raoul de Gardefeu déjà très dégourdi, et à l'agilité très sûre dans les aigus.
«Orphée et Eurydice» marque un jalon fascinant dans l'histoire de l'opéra. Héritier d'un Siècle des lumières, l'ouvrage maintient la tradition de la fin heureuse – eh oui, dans cette version, alors qu'Eurydice meurt une deuxième fois et qu'Orphée veut se tuer, l'Amour lui rend sa bien-aimée vivante! Mais il est également avant-gardiste: économie de moyens très classique (outre le chœur, il n'y a que trois personnages: Orphée, Eurydice et l'Amour), et écriture vocale lyrique, qui annonce déjà Mozart et Rossini. Philippe Talbot y voit aussi un «grand huit émotionnel passant sans cesse de l'espoir au désespoir, de la lamentation à la joie».
«Gluck donne une immense liberté à l'interprète»
Le ténor confirme aborder ici son plus grand rôle lyrique. «En travaillant la partition, j'ai trouvé une sorte d'évidence malgré la tessiture très tendue. Les passages les plus importants restent dans une tessiture intelligible pour ce si beau texte. Les notes vraiment aiguës sont pour les moments de désespoir, de lamentation ou de joie. Ils peuvent être criés ou murmurés: Gluck donne une immense liberté à l'interprète.» En comédien aguerri, le chanteur apprécie aussi d'avoir sur cette production un chef qui aime le théâtre (Diego Fasolis) et un metteur en scène très à l'écoute de chaque inflexion musicale (Aurélien Bory).
Parler d'Orphée, c'est évidemment parler du pouvoir surnaturel du chant. Dans le cas de Philippe Talbot, le virus est arrivé très tôt, à 7 ans, quand la toute jeune chorale de son école à Nantes cherchait de nouvelles recrues. «Le professeur de musique m'a fait reproduire quelques arpèges et m'a carrément ordonné d'entrer dans la chorale, se souvient-il. À 13 ans, j'étais déjà soliste, notamment dans «La flûte enchantée». Quand on chante à plusieurs, il y a une sorte de drogue qui se libère. Une fois qu'on y a goûté…» Aujourd'hui, la quête de cet état second est sa principale motivation. «C'est le fruit d'un travail acharné, mais cela arrive au moins une fois par opéra, et parfois avant même la première note. On oublie le contexte, l'acte même de performance; le temps se contracte; le corps est en mode automatique; toute la partition est infusée; rien d'autre n'existe que ce moment. Et là on sait ce qu'on fait sur cette Terre.»
Cet article a été automatiquement importé de notre ancien système de gestion de contenu vers notre nouveau site web. Il est possible qu'il comporte quelques erreurs de mise en page. Veuillez nous signaler toute erreur à community-feedback@tamedia.ch. Nous vous remercions de votre compréhension et votre collaboration.