Pajak expose le dessin en art majeur
L'éditeur et artiste franco-suisse déclare son amour infini du medium au Musée Jenisch à Vevey en croisant 271 œuvres politiques et poétiques.
Comme il fallait bien s'arrêter une fois et endiguer cette fureur de vivre le dessin, on dira qu'il n'y a «que» 271 feuilles dans la nouvelle exposition du Musée Jenisch, à Vevey! Des Rembrandt. Giacometti, Topor, Klee, Hodler, Mix & Remix, Lautrec ou encore Leiter. Marqueurs de l'histoire de l'art ou en devenir, rêveurs romantiques ou naturalistes, plumes acérées, il n'y a pas vraiment de règle pour ce «Dessin politique, dessin poétique». La liste est passionnément bigarrée, elle égrène 81 noms. Tout au bonheur du décloisonnement, au besoin insatiable de la poésie de la nature et à la fascination pour les dessinateurs de presse «qui ne font pas dans la blagounette éphémère».
Aux commandes, un alchimiste, un détecteur de sensibilités, un détective à l'affût d'incontournables autant que galvanisé par la surprise: Frédéric Pajak. L'artiste, l'auteur, le directeur de la Maison d'édition Les Cahiers dessinés a feuilleté ses souvenirs comme son carnet d'adresses. Il s'est laissé engloutir par les richesses des fonds veveysans et celles d'autres collections. Au final, c'est son enthousiasme pour le dessin qu'incarne l'accrochage. Aléatoire, ce dernier dit ce bonheur dans la découverte du talent d'Adrien Neveu, un veilleur de nuit toulousain que Pajak a convaincu de révéler publiquement la puissance de ses écritures paysagères. Impressionniste, cet accrochage scelle aussi une rencontre improbable entre Goya, son entrée en guerre contre l'obscurantisme du XVIIIe siècle, et Otto Dix dans ses pénétrantes traductions de la folie guerrière de 14-18.
Il conjugue encore la colère des grésillements de terreur lâchés sur la feuille par Paul Klee en 1933 avec celle de Varlin, qui signait la même année «Israël, souviens-toi!» un album prémonitoire. Les rencontres se suivent, elles ne se ressemblent pas, soudain évidentes ou tramées par la subtilité alors que l'inédit fait aussi sa part à la vue des évasions végétales trouvées dans le portfolio du très mordant Mix & Remix. «L'idée qu'un dessinateur politique très engagé puisse faire du paysage, parfois même en cachette, dit beaucoup sur ces témoins de la marche du monde qui ont aussi besoin de sublimer les choses. D'un autre côté, poursuit le commissaire, reproduire un paysage, c'est très exigeant. Quand on y pense, c'est même totalement absurde d'essayer de faire tenir une immensité dans une feuille de papier, il faut une maîtrise incroyable du dessin!» Le zapping d'une idée à l'autre a fait ce «Dessin politique, dessin poétique», une balade où le désordre engendre un ordre tout autre, suprême et vertigineux.
Un risque à prendre
À l'encre de Chine, au fusain, au crayon, au pastel, gravées ou peintes: les œuvres plaident la cause de ressources infinies du langage dessiné, en plus d'exister chacune pour elle-même. On va, on vient. L'exposition n'est pas dirigiste, ni barricadée dans sa thématique. Au contraire! À la fois savante et généreuse, elle lâche le visiteur dans la nature du dessin, cet art qui abrite des bagarres d'idées mais qui ne ment jamais, cette expression originelle qui ne cesse de renouveler ses moyens. Le risque de s'égarer existe. Inhabituel dans le monde des expositions didactiques, il trouble, mais c'est tant mieux. Il faut le prendre, fusionner avec l'œuvre papier qui donne à vivre la spontanéité comme la profondeur, il faut enchaîner les expériences émotionnelles provoquées par Frédéric Pajak. Vibrer avec les résonances entre la beauté ténébreuse des arbres de Rembrandt et la tangibilité lumineuse du châtaignier de De la Rive. Suivre de Daumier à Noyau, l'histoire d'un trait qui ose, corrosif, drôle, voire licencieux.
Les fils se tendent, en surface ou souterrains, ils amènent à croiser les inquiétantes mélancolies de Folon avec l'indicible barbarie humaine dessinée par Zoran Music. Le temps d'une exposition, ces fils réunissent encore la splendeur dramatique d'une montagne d'Alexandre Calame, les traductions énigmatiques des feux de forêt en Grèce de Claire Forgeot et les fugacités captées par Martial Leiter à travers la fenêtre d'un train. «Ça ne me gêne pas qu'on se perde, accepte Frédéric Pajak. Pour dire cette diversité, on ne peut pas faire une exposition minimaliste, ne montrer qu'une centaine de pièces aurait été trop arbitraire.»
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