«Palimpsest», pièce sans danseurs mais si réelle
Nicole Seiler invite à une déambulation chorégraphique dans les rues de Lausanne via une application smartphone. L'expérience sera recréée ce mois-ci à Nyon, dans le cadre du far°.

Un homme traverse le hall de la gare de Lausanne. Il tient la main d'un enfant arborant un ballon au bout d'une ficelle. À l'opposé, un second quidam entre d'un pas pressé. Il bouscule le bambin, le ballon s'envole au plafond. La scène, anodine, quotidienne, nous est contée par la voix tranquille de l'audiodescriptrice Séverine Skierski, dans nos écouteurs branchés à notre smartphone.
Nous nous trouvons dans le hall, entre la vitrine du kiosque et le point d'information de l'Office du tourisme. Et voilà qu'un spectacle mi-réel mi-fictif s'ouvre à nous. La scène a beau nous être suggérée, on ne peut s'empêcher de lever les yeux pour suivre ce ballon imaginaire dans son ascension. Mieux: nous l'entrevoyons. Furtivement. Nous? Les spectateurs-auditeurs de «Palimpsest», la nouvelle création de Nicole Seiler.
Magie de la force d'évocation! Via une application smartphone, la chorégraphe suisse nous promène en ville et stimule notre imaginaire. À chacun des six points d'écoute, d'Ouchy à la Riponne en passant par l'Arsenic (qui coproduit cette création), la voix de Séverine Skierski nous imprègne d'histoires et d'anecdotes sur le lieu, puis invoque les figures qui l'ont fréquenté, traversé, investi. Anonymes ou pas, ils surgissent çà et là, ces fantômes qui hantent une place, un hall, un parc. Et nous, badauds, nous les rendons (presque) palpables. Nous créons notre propre partition. Physiquement absents, ses interprètes sourdent par notre imagination.
Audiodescription poétique
Dans ce palimpseste se superposent le lieu tel qu'il se déploie sous nos yeux, ce que son passé recèle et ce que notre esprit déroule à l'écoute du récit et des sons. Mais Lausanne n'aura pas l'apanage de cet objet artistique si singulier: l'application prendra vie dans d'autres villes. Prochaine étape, le Festival des arts vivants (far°), à Nyon, dont la 34e édition se déroulera du 17 au 25 août.
«L'origine de cette création était de révéler les potentiels poétiques de l'audiodescription», raconte la chorégraphe. Une démarche exploratoire esquissée il y a plusieurs années déjà. «En 2012, nous avions réalisé une audiodescription du spectacle «Small explosion with glass and repeat echo» pour les aveugles et malvoyants. Après cette première expérience, j'ai commencé à m'intéresser à l'idée de faire la même démarche pour les personnes voyantes, de confronter une description dite objective à leur regard qui, par définition, est subjectif.»
La chorégraphe a-t-elle inventé une nouvelle forme de représentation? Pas tout à fait. Elle n'est pas la première à emmener son public, écouteurs vissés aux oreilles, dans une création immersive. Rimini Protokoll avec son capitaine, Stefan Kaegi, en est l'un des parangons. Dans «Remote X», l'artiste baladait les spectateurs dans les rues de villes, notamment Lausanne en 2014 au Festival de la Cité, interrogeant l'intelligence artificielle et le big data. D'autres encore ont exploré les potentialités des balades sonores. On citera, entre autres, Yann Gross et son exotique «Radio Amazonie», périple au cœur de la jungle nyonnaise (si, si) en 2014 au far°. Ou encore le collectif Ici-Même qui, en 2016, emmenait le public de la Grange de Dorigny dans une flânerie sonore, les yeux fermés, sur le campus universitaire. Mais Nicole Seiler fait un pas de plus: par définition, les arts scéniques sont éphémères. Les pièces sont présentées sur un laps de temps délimité. Ce «Palimpsest», lui, vivra ad aeternam. Ou, du moins, tant que la technologie le permettra.
Le corps au centre
Mais enfin, en quoi est-ce de la danse? Une partition sans interprètes, sans mouvements chorégraphiés peut-elle se ranger dans cette catégorie? On se souvient notamment du scandale provoqué au festival de La Bâtie par la chorégraphe madrilène La Ribot qui, dans «El Triunfo de La Libertad», émancipait le plateau de ses artistes. «Pour moi, la danse est un questionnement du corps et de sa tenue en lien avec un espace, répond Nicole Seiler. Quand la préoccupation première d'une pièce est le corps et la manière dont il bouge, alors je considère cela comme de la danse.»
Le geste et ses fluctuations, les oscillations du corps, ses variations rythmiques et sensorielles forment ainsi la matrice de «Palimpsest». «Avec Séverine, nous avons recueilli des événements historiques grâce à l'aide de spécialistes, et nous avons noté les actions, les mouvements qui se déroulaient devant nous lorsque nous cherchions des lieux. Nous avons ensuite écrit le texte comme s'il s'agissait d'une chorégraphie.» Une création à vivre comme un spectacle, donc. Sauf que le public n'est pas assis dans une salle. Le tissu urbain remplace le plateau. «Il était important que l'application ne fonctionne que sur les points d'écoute. Ce n'est pas un objet radiophonique, il reste dans l'ordre du live.»
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