Pour le sociologue français Serge Paugam, les politiques de lutte contre la pauvreté sont cycliques. Du «cycle de compassion», qui a vu la mise en place d’aides étatiques importantes, on est passé au «cycle de culpabilisation» des pauvres, et la responsabilité individuelle a remplacé l’injustice sociale comme explication de la pauvreté.
En Suisse, la part de personnes vivant sous le minimum vital de l’aide sociale est passée entre 2014 et 2019 de 6,7% à 8,7% de la population. Si on compte les personnes en situation de précarité, qui peuvent basculer à tout moment en dessous de ce seuil, la proportion s’élève à 16%. Ces chiffres sont antérieurs à la pandémie.
«Le nouveau cycle de politique de lutte contre la pauvreté pourrait bien être celui de l’indignation.»
Si la pauvreté a plusieurs causes, une est déterminante: avec un demi-million de personnes qui gagnent moins de 4500 francs bruts par mois, la Suisse a un problème de bas salaires. L’augmentation du renchérissement et des primes de caisse maladie pèse plus que jamais sur le porte-monnaie de beaucoup de familles.
Une étude publiée par le Fonds monétaire international vient d’ailleurs de déconstruire le mythe selon lequel le rattrapage salarial entraînerait une spirale des prix. La baisse des revenus a comme principal effet de freiner la demande et de contribuer à transformer la crise inflationniste en récession.
Dans ce contexte, le Conseil national a accepté la semaine dernière la motion d’Erich Ettlin (Centre/OW) qui demandait que les conventions collectives de travail l’emportent sur le droit cantonal. Dans le collimateur: les salaires minimums de Neuchâtel et surtout de Genève, où la population avait plébiscité en 2020 l’introduction du salaire minimum (de 24 francs l’heure en 2023). Quelque 25'000 employés ont pu en bénéficier, dont la moitié dans des secteurs où les conventions collectives fixent des salaires inférieurs: coiffure, restauration et nettoyage.
Compétence des cantons
Avec la motion Ettlin, ces personnes pourraient subir des baisses de salaire qui peuvent aller jusqu’à 1000 francs par mois. En termes de «compassion», on a vu mieux. En termes de constitutionnalité aussi: Le Tribunal fédéral a récemment confirmé la compétence des cantons à lutter contre la pauvreté et donc à fixer des salaires minimums. Le Conseil fédéral, qui doit élaborer la loi d’application, devra en tenir compte.
Pour revenir à la compassion: Luca Casarini, capitaine d’un navire de sauvetage de migrants sur la Méditerranée, prétend qu’il y a une erreur de traduction dans la Bible. Selon lui, il n’y est pas mention de compassion, mais d’indignation. Pour les professionnels du travail social, qui s’emploient tous les jours aux côtés des personnes précarisées, et pour les syndicats, qui s’apprêtent à lancer des nouvelles initiatives pour l’introduction d’un salaire minimum dans les cantons de Vaud et Fribourg, le nouveau cycle de politique de lutte contre la pauvreté pourrait bien être celui de l’indignation.
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