La Commission Bergier, quels que soient les reproches qui lui ont été adressés par le passé, est associée aujourd’hui à une prise de conscience douloureuse et salutaire par la Suisse de son attitude durant la Seconde Guerre mondiale. Or, cette appréciation est trop favorable. Elle fait fi d’abord des évidents défauts de ses travaux, qui ne portent pas seulement sur des détails.
Les volumes présentent, en effet, un panorama aussi foisonnant qu’insatisfaisant des relations financières entre la Suisse et l’Allemagne nazie. Les apports factuels sont mêlés à un manque de contextualisation, de problématisation et de cohérence. Le rapport de synthèse n’est pas venu corriger le tir; il a même ajouté du désordre au tout.
«L’histoire des relations extérieures de la Confédération helvétique durant la Seconde Guerre mondiale ne fait plus partie des champs de recherche des universités suisses.»
Il n’y a pas une vision proposée ou imposée par la Commission Bergier sur l’histoire suisse de la Seconde Guerre mondiale; une telle perspective n’existe simplement pas. Lorsque les travaux sont sortis de presse, une impression inverse a paru se dégager, compte tenu du débat très tranché qu’ils ont suscité. Mais celui-ci n’a pas porté sur le propos général de la Commission, qui reste insaisissable. Ce sont d’une part ses intentions, plus que ses résultats, qui ont été jugées dans l’espace public. D’autre part, la confrontation entre les historiens s’est focalisée uniquement sur quelques points précis, les achats d’or de la Banque nationale suisse et le refoulement des réfugiés juifs au premier chef.
Une fois passé ce premier moment, la discussion s’est rapidement étiolée. Devant la difficulté d’appréhender les 11’000 pages d’histoire économique produites par la Commission pour pouvoir cerner les résultats pertinents et de les confronter à la dimension diplomatique et militaire des relations extérieures pour produire un discours qui fasse enfin sens, les historiens suisses ont préféré opter pour une stratégie d’évitement: l’histoire des relations extérieures de la Confédération helvétique durant la Seconde Guerre mondiale ne fait plus partie des champs de recherche des universités suisses.
Des réponses ignorées
Pourquoi la politique suisse a-t-elle été perçue favorablement par les Alliés à la fin des années 1930? Et pourquoi le pays n’a-t-il pas été envahi par l’Allemagne nazie en été 1940? Les réponses à ces questions essentielles, qui avaient préoccupé les historiens helvétiques jusque dans les années 1990, ont-elles été modifiées par la lecture des travaux de la Commission Bergier?
En réalité, elles sont désormais ignorées. Pour l’histoire de la politique étrangère suisse, la Commission Bergier et les réactions qu’elle a suscitées ont donc plus laissé un vide qu’elles n’en ont comblé un. Seule une rupture avec l’usage des faux-fuyants par les historiens permettra d’entreprendre un examen plus judicieux de cette période cruciale de l’histoire du pays.
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L’invité – Passer à un autre paradigme, au-delà du syndrome Bergier
Christophe Farquet souhaite que les historiens suisses se penchent à nouveau sur l’histoire de la politique étrangère de la Suisse durant la Seconde Guerre mondiale.