La tragique version du «Loup et l’agneau» qui se déroule en Ukraine (souvenez-vous: «La raison du plus fort est toujours la meilleure»), comme toutes les guerres, sert de révélateur. Le 24 février 2022, les Ukrainiens se réveillent résistants et courageux. Dans les jours qui suivent, en imaginant des sanctions économiques, les Européens prennent conscience de leurs faiblesses. Outre leur aversion bien compréhensible à risquer un conflit direct avec l’armée russe et ses engins nucléaires, leur dépendance vis-à-vis du pétrole et du gaz russes leur lie les mains. Et leur coûte quotidiennement des centaines de millions d’euros qui alimentent les caisses de l’envahisseur.
Les Suisses aussi se retrouvent face à ce dilemme. À cause des prix de l’essence et du mazout qui prennent l’ascenseur, des engrais ainsi que des céréales russes et ukrainiens qui pourraient venir à manquer. «La Suisse est-elle prête en cas de pénurie alimentaire?» titrait ce journal cette semaine.
Tirons du passé quelques observations. Au tournant du XXe siècle, quand éclate la crise du charbon en Europe, la Suisse en importe environ 5 millions de tonnes par an. Le développement du réseau ferroviaire suisse met en exergue la dépendance du pays au «combustible solide». Conséquence: la Suisse développe son potentiel hydroélectrique.
«Les solutions existent, même si leur mise en place peut faire mal, au porte-monnaie ou à l’estomac.»
À l’éclatement de la Première Guerre mondiale, la Suisse possède un taux d’autoapprovisionnement alimentaire de 45 à 50% seulement. Conséquences: mise en place d’une économie de guerre, contingentements et diverses mesures pour augmenter la production nationale, enfin introduction du rationnement de 1917 à 1920.
En 1939, la Suisse importe encore 4 millions de tonnes de charbon, dont environ 45% d’Allemagne. À partir de 1940, le Reich devient pratiquement la seule source du précieux combustible pour la Suisse: en 1944, il fournit 97,3% des 2 millions de tonnes importées. Conséquences: on termine l’électrification du réseau CFF, on multiplie par 10 l’exploitation du bois de chauffage, on rouvre les mines de charbon, on brûle les vieux papiers pour distiller la houille dans les usines à gaz. En parallèle, le plan Wahlen permet d’augmenter la production agricole.
Tout ceci pour dire quoi? Primo, que la dépendance énergétique et alimentaire des Suisses vis-à-vis des pays tiers est une évidence, depuis toujours. Secundo, que des solutions pour la réduire existent, même si leur mise en place peut faire mal, au porte-monnaie ou à l’estomac. Et tertio, que pour la première fois de l’histoire, des nécessités économiques et géostratégiques coïncident avec une crise climatique.
Du gagnant-gagnant
Il faut économiser du carburant et du gaz? C’est bon pour notre porte-monnaie et pour le climat, ça évite de financer la guerre. Il faut augmenter la consommation et la production de céréales, d’oléagineux et de patates indigènes? C’est bon pour nos paysans, pour notre taux d’autoapprovisionnement (57%, de nos jours), et nous sommes tous en faveur des circuits courts. Il faut diminuer notre consommation de viande? C’est excellent pour notre santé et pour réduire notre empreinte carbone. Il faut développer nos propres ressources énergétiques? C’est gagnant pour le savoir-faire helvétique, excellent pour réduire notre dépendance, favorable à l’accélération de la transition. Il faut limiter le gaspillage, alimentaire comme énergétique? Encore une attitude doublement à succès.
Les pays qui s’en tireront le mieux dans cette double crise sont ceux qui parviendront à exploiter leur potentiel interne au maximum, tout en collaborant avec leurs voisins dans le cadre d’échanges respectueux et équilibrés. Dès lors, comment pourrais-je me dire patriote et pas écolo?
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Carte blanche – Patriotes et écolos, même combat
Face aux crises, les solutions convergent. Ne serait-ce pas l’heure d’une union sacrée?