Événement littérairePerec a toujours «Lieux» d’être
En ligne ou en bloc de 600 pages, ce monstre d’écrivain livre d’outre-tombe son carnet d’adresses intime.

Sûr que d’outre-tombe, Georges Perec applaudit l’idée de ses héritiers. Le voilà connecté sur internet, grâce à la mise en ligne de «Lieux», somme monstrueuse restée inachevée à sa mort, il y a 40 ans. Le membre de l’OuLiPo (Ouvroir de Littérature Potentielle) a toujours aimé les listes sémantiques, devinettes perchées et autre fantaisie syntaxique.

Le temps perdu de Proust
En janvier 1969, le Parisien décide des règles du jeu. Pendant douze ans, l’écrivain répertorie 12 lieux de la capitale, liés à un souvenir important, qu’il reconstitue d’abord de ce strict point de vue mémoriel avec toutes les variantes subjectives inhérentes, puis d’une manière factuelle et neutre à partir des décors, témoins, etc. Chaque compte rendu se voit mis sous enveloppe et scellé à la cire rouge, il en remplira 133 durant sept ans, ajoutant des tickets de métro, photos et autres traces.

À l’époque, Perec confessait à son ami Maurice Nadeau le but de cette entreprise: «Je pense qu’on y verra tout à la fois le vieillissement des lieux, le vieillissement de mon écriture, le vieillissement de mes souvenirs…» Comme le temps perdu de Proust, la quête se dévoile enfin.
Déambulations infinies
Circuler dans «Lieux» grâce à la Toile aurait ravi cet amoureux de la mystification. Plusieurs entrées s’ajoutent à la consultation livresque. Par un index alphabétique, des renvois géographiques, des itinéraires conseillés, personnels, etc., les circonvolutions dans la mémoire de Perec tendent à se perdre jusqu’à l’infini, déambulent dans l’anecdote légère et la gravité philosophique. Un mode d’emploi est fourni mais le principal intéressé lui-même se trompe parfois, gratte du sens sous les graffitis déjà effacés par le ciel orageux de Paris, retourne à la maison de son enfance, rue Vilin, pour y faire son deuil. «Sur la gauche (côté impair), le n˚1 a été ravalé récemment. C’était, m’a-t-on dit, l’immeuble où vivaient les parents de ma mère.»
Georges Perec
«Lieux»
Éd. Seuil, 604 p.
www.lieux-georges-perec.seuil.com

Cécile Lecoultre, d'origine belge, diplômée de l'Université de Bruxelles en histoire de l'art et archéologie, écrit dans la rubrique culturelle depuis 1985. Elle se passionne pour la littérature et le cinéma… entre autres!
Plus d'infosVous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.