La couverture de «L’illustré» et sa grande interview, ça vous pose un homme. Pierre-Yves Maillard, le 11 novembre, a été mis en vedette par l’hebdomadaire romand. Le fond de sa pensée économique et sanitaire resterait ainsi un bon bout de temps consultable dans les salles d’attente des médecins et les salons de coiffure… si les mesures anti-Covid le permettaient. Le président de l’Union syndicale suisse et conseiller national socialiste fait entendre sa petite musique depuis le début de la pandémie. Maintenant, la mélodie est à plein volume. Que dit-il en substance? Qu’il faut investir massivement pour garantir aux hôpitaux de pouvoir absorber ces chocs pandémiques. Que les autorités devraient financer intégralement les pertes de ceux qu’on empêche de travailler. Et surtout qu’il faut cesser de «sermonner» ceux qui font la fête en famille ou entre amis, que le port général du masque dans les centres-villes apporte des «effets médiocres».
Évidemment, l’homme étant entier, personne n’a oublié qu’il était aussi le ministre vaudois de la Santé de 2004 à 2019. Presque quinze années comme pilier du gouvernement vaudois et sans traverser de crise sanitaire majeure, avant de laisser la place à Rebecca Ruiz, sa camarade de parti. Quant à elle, depuis son entrée en fonction, elle a eu moins d’une année avant que le coronavirus noircisse son agenda. Alors, quand l’ancien ramène sa fraise en public, la nouvelle ne peut pas ne pas l’entendre.
«Rebecca Ruiz a bien le droit d’être agacée.»
Rebecca Ruiz n’a peut-être pas trop envie de casser des assiettes dans la maison socialiste vaudoise, dont Pierre-Yves Maillard a été jusqu’à peu la figure tutélaire. Mais elle a bien le droit d’être agacée, comme elle le montre sur le plateau du 19:30 quand Philippe Revaz la prie de réagir aux propos de PYM. «Quand des propos publics sèment le doute sur la légitimité des mesures sanitaires, je me dois de rappeler qu’elles ont été prises après discussion avec des scientifiques…» répond Rebecca Ruiz. Et quand le présentateur lui demande si elle n’est pas «déçue» de son prédécesseur, elle esquive de son mieux: «Je n’ai pas à être déçue, chacun est libre de penser ce qu’il veut…»
La liberté de pensée résiste assez bien, mais la liberté d’action est très réduite, en ce moment. C’est évidemment toute la difficulté de cette crise qui met au congélateur les rapports humains et ruine trop de citoyens. Pierre-Yves Maillard a raison de défendre les salariés (c’est son rôle) et de demander une indemnité intégrale pour ceux dont l’État bloque l’activité (c’est sa ligne politique).
Mais n’aurait-il pas fait et dit à peu près la même chose que Rebecca Ruiz s’il était encore en position de ministre vaudois de la Santé? Et que gagne-t-il à jouer aujourd’hui le jeu de certains récalcitrants, insouciants ou écervelés? Un surcroît de crédibilité aux yeux du patronat? Quelques voix pour les prochaines fédérales? Il a déjà démontré plusieurs fois dans le passé qu’il assumait sa dimension populiste. Cette fois, il ne dit pas qu’il y a trop d’universitaires parmi les experts scientifiques, mais il n’en est pas loin.
Débattre est une nécessité. Sur le front de la lutte contre la pandémie, un drôle de zig vient d’ailleurs d’émerger. Il s’appelle Willy Oggier, un économiste de la santé. Dans les colonnes des journaux alémaniques, il propose le plus sérieusement du monde une forme de rétablissement de la peine de mort: il s’agirait de priver de soins intensifs tout malade du Covid-19 s’il a été auparavant amendé pour une infraction délibérée au port du masque ou aux gestes barrières. En provoquant un tollé, cet économiste aura eu le mérite de mettre d’accord au moins Rebecca Ruiz et Pierre-Yves Maillard.
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Carte blanche – Pierre-Yves Maillard ramène sa fraise