Rachat de Credit Suisse«Bien sûr qu'il faut avoir peur du mastodonte UBS»
La Suisse change de visage avec la disparition de Credit Suisse. Nous avons décortiqué l’événement lors d'un live chat avec nos lecteurs.
Cinq jours après l’annonce du sauvetage de la deuxième banque du pays – placée dimanche au sein de sa principale concurrente, UBS, et soutenue par des avances publiques pouvant atteindre 100 milliards de francs –, la poussière du séisme peine à retomber.
Le nouvel ensemble est-il devenu trop important pour la Suisse? Les anciens patrons de la banque devront-ils rembourser les dizaines de millions de bonus touchés? Alors que les autorités de tutelle – FINMA en tête – ont été totalement prises à découvert, faut-il remettre à plat l’encadrement du secteur bancaire? Quelles conséquences pour les particuliers? Nos journalistes de la rubrique Économie, Pierre Veya et Pierre-Alexandre Sallier, ont répondu aux questions des lecteurs lors de notre live chat (voir la vidéo ci-dessus). Et notre synthèse en quatre points ci-dessous.
La responsabilité des patrons de Credit Suisse
Responsables de la stratégie suivie par la banque, certainement. Mais au sens juridique du terme… c'est une autre histoire. Car responsables peut-être mais… de quoi? Dans cette affaire, il n'y a pas de cadavre.
A la différence de Swissair il y a deux décennies, Credit Suisse n'a pas fait faillite. Elle a été rachetée par une concurrente. Ce qui balaierait toute procédure intentée à leur encontre - par exemple sur des accusations de faute dans la gestion. Seul bémol, il ne s'agit pas d'une entreprise ordinaire, mais d'une banque dite systémique à laquelle sont imposées des règles distinctes. Et il ne s'agit pas d'un rachat ordinaire, mais d'une fusion soudée à l'aide de milliards du contribuable.
Dès le début de la semaine, des voix se sont par ailleurs élevées pour réclamer le remboursement des montants astronomiques touchés par les anciens patrons de la banque, comme par les membres de son conseil d'administration. Par exemple les 42 millions touchés par Urs Rohner en dix ans, en qualité de président.
Le Conseil fédéral tente bien d'empêcher le paiement des primes qui restent encore à verser. Mais pour le reste, difficile d'exiger la restitution d'un salaire validé depuis des années.
Alors, les banquiers millionnaires ont-ils sauvé leur peau? Tant qu'une plainte pénale - lancée, par exemple, par des actionnaires exigeant des dommages et intérêts - n'aboutit pas, oui. Ce qui faisait dire en début de semaine à Marc Chesney, de l'Université de Zurich, que de nouveaux textes limitant les rémunérations à un million par an auraient pour avantage de «dissuader de nommer les pires candidats - les joueurs de poker».
Faut-il avoir peur du mastodonte UBS ?
Bien sûr qu'il faut en avoir peur. Le week-end dernier, la plus grande banque au monde -trop grande pour faire faillite- a été créée. Et ce risque pèse sur les épaules de la petite économie helvétique.
Les chiffres sont difficiles à appréhender. Près de 5000 milliards d'actifs investis au bilan. Et 300 milliards de prêts octroyés - dont pas loin de la moitié du marché des hypothèques en Suisse - soit plus du tiers des richesses produites par l'économie suisse en une année.
Cette inquiétude persistera tant que les responsables politiques n'auront pas mis au point des plans de crise autrement plus efficaces.
Une solution serait d'imposer une scission, la recette mise en place par les Etats-Unis durant la Grande Dépression… et durant soixante ans. Sauf que cela se heurte à l'une des premières conditions posée par UBS auprès de la Confédération le week-end dernier, en échange de sa participation au sauvetage de sa concurrente déchue. La forcer à bétonner son assise financière, avec toujours plus de fonds propres? On a vu que les fonds propres n'étaient pas le seul problème la semaine dernière pour Credit Suisse.
Une chose est sûre, avec le plan de réduction des coûts de 8 milliards par an annoncé, les effectifs vont être sévèrement «rationalisés» comme disent les consultants. Les troupes des deux établissements totalisent 125000 personnes dans le monde, dont environ 37000 en Suisse. Les spécialistes interrogés la semaine dernière évoquaient de 8000 à 10000 suppression d'emplois, rien qu'en Suisse. L'équivalent d'un groupe Raffeisen rayé de la carte.
Quels risques et pour qui?
C'est bien la seule chose qu'ont communiquée les autorités avant le krach. Les dépôts bancaires des particuliers chez Credit Suisse sont protégés, à concurrence de 100'000 francs. Ce qui est déjà beaucoup, surtout en «cash» dormant sur un compte. Mais pour les plus fortunés - ceux dont les frais font tourner la banque? Comme il n'y a pas de faillite «on peut imaginer qu’UBS ne va pas [les] laisser tomber - ce n’est pas écrit dans les textes, mais ça tombe sous le sens», pointe Carlo Lombardini, sommité du droit bancaire. Même chose pour les prêts immobiliers.
Le vrai changement est d'ordre psychologique. Or la psychologie est au cœur de la stabilité d'une banque - ce que l'on appelle la confiance. Quelle que soit la puissance de UBS, une petite musique trottera dans les têtes: Credit Suisse, elle aussi, était censée être trop grosse pour être abandonnée à son sort. Mais s'il n'y a désormais plus d'autre UBS pour tout reprendre et si le mastodonte est devenu trop important pour la Confédération… qui?
Le vrai problème de la confiance n'est pas lié au compte du salarié lambda. Mais aux dépôts et aux emprunts de 50, 100 ou 200 millions contractés par la clientèle d'entreprise. Ce sont les PME qui ont paniqué vendredi dernier alors que les assurances de la BNS - 50 milliards tout de même - ne calmaient plus personne. «Si je ne retire pas les 2 millions qu'on a chez eux, mes actionnaires pourront me reprocher d'avoir mal géré la boîte si cela tourne mal», indiquait alors un chef d'entreprise genevois. Le problème n'est pas réglé avec leur passage sous le giron de la banque aux trois clefs: les entreprises qui avaient un compte dans les deux banques, devraient, en toute logique, déposer une partie de leurs avoirs dans un nouvel établissement. Afin de limiter les risques. Verdict dans quelques mois lors du point sur leur activité par les Raiffeisen, BCV et autres BCGE.
Que reste-il de la place financière suisse?
Les dégâts sont indiscutables pour la place financière suisse. Pour l’étranger, la Suisse est peut-être un pays ennuyeux mais très fiable, comme l’écrivent souvent les analystes financiers. La reprise en catastrophe du Credit Suisse a surpris les places asiatiques. L’enjeu est sans doute très important, notamment en Chine où le Credit Suisse venait d’obtenir une licence élargie pour développer ses activités, quelques heures avant l’annonce de sa reprise par UBS. Maintenant, il faut aussi relativiser; la place financière suisse ne se résume pas à UBS. Les banques cantonales et régionales ont fait beaucoup de progrès. On compte également beaucoup de sociétés financières high-tech, actives notamment dans les processus de numérisation des transactions financières. De plus, l’activité traditionnelle de gestion de fortune est robuste et très appréciée pour ses compétences à jongler avec les monnaies et les particularités des pays. Genève possède des sociétés très réputées, comme le groupe Pictet, Lombard Odier, Mirabaud, etc. En ce sens, la place financière de Genève est moins touchée. Mais à l’évidence, le moment est difficile pour tout le monde.
Un coup d'oeil sur ce qui se passe ailleurs amène cependant à relativiser les procès en nullité intentés à l'égard de la FINMA ou des vedettes de Credit Suisse. Par exemple en Californie, où l'autorité de tutelle pointait depuis un an de sérieuses faiblesses au sein de la Silicon Valley Bank. Sans guère de réaction. Une Californie dans laquelle le patron de cet établissement - d'où est parti la crise de confiance qui allait faire chuter le domino Credit Suisse - n'avait pas hésité à se débarrasser en masse de ses actions, ces deux dernières années, pour encaisser plus de 30 millions de dollars. Il le faisait encore quelques jours avant la chute de sa banque…
Cette crise aura des répercussions. Le Parlement suisse va devoir examiner les dispositions sur le “Too big to fail” qui n’a pas fonctionné, s’interroger sur la réglementation des bonus (durcir les modalités), évaluer différentes pistes pour protéger la banque UBS contre elle-même. Par exemple, faut-il l’obliger à vendre une partie de ses activités pour favoriser la concurrence sur le marché suisse et réduire son exposition aux risques à l’étranger? ; faut-il remettre en cause le concept de banque universelle qui réunit banque de détails et banque d’affaires?. Les débats seront vifs et la résistance des banquiers tout aussi forte que par le passé.
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