«Pour tous les partis, y compris le PS, la naturalisation n'est pas une priorité»
A dix jours d'un vote qui s'annonce serré, Ada Marra met toutes ses forces dans la campagne.

Rien n'est perdu. Les Suisses sauront faire la part des choses et diront oui à la naturalisation facilitée pour la troisième génération. Ce credo, Ada Marra le martèle comme pour mieux s'en convaincre. La socialiste vaudoise à l'origine du projet ne lâche rien, malgré la rudesse des attaques de l'UDC et le peu de mobilisation des autres partis. Pour elle, un double non précipiterait le pays dans une phase identitaire très sombre. Interview.
Etre à l'origine d'un article constitutionnel, ce n'est pas courant. Comment est né ce combat?
De 2007 à 2011, j'ai siégé à la commission des institutions politiques, où on a beaucoup parlé migration, asile, minarets, etc. Nous étions toujours sur la défensive. Mais en 2008, lorsque les Suisses ont rejeté l'initiative populaire de l'UDC pour un durcissement de la naturalisation, je me suis dit qu'il y avait là une fenêtre d'opportunité à saisir. Et dès le lendemain du vote, après avoir tâté le terrain notamment à droite, j'ai décidé de déposer une initiative parlementaire pour une naturalisation facilitée. Voilà le début de l'aventure.
Une aventure qui a duré huit ans. Vous imaginiez un processus aussi long?
Non. J'avais la fraîcheur et l'enthousiasme des nouveaux. Plusieurs membres de mon parti m'avaient d'ailleurs avertie que ça ne passerait jamais. Pourtant, en deux ans, le projet préparé par la commission était prêt. Mais tout a été bloqué lorsque est arrivée la révision totale de la loi sur la nationalité. Le projet a été gelé durant quatre ans. Il en est ressorti en 2014. Le Conseil national a dit oui à une version beaucoup plus ouverte que celle sur laquelle nous allons voter. Aux Etats, en revanche, l'initiative a pu être sauvée avec la voix prépondérante du président, mais avec un durcissement des conditions. Ce n'est plus mon projet. C'est le compromis du parlement pour lequel je me bats.
«J'espérais une campagne joyeuse, positive, avec des jeunes. Au final, je crains que l'on reste sur l'impression sombre de la burqa»
La campagne est dure. On a le sentiment que vous n'étiez pas vraiment préparée…
La grosse difficulté, c'est que nous n'avons pas d'argent, et qu'il faut, en trois mois, retourner l'opinion publique alémanique depuis la base. C'est une thématique qui leur est très étrangère, alors qu'en Suisse romande, on connaît déjà des facilités pour la troisième génération. On a lancé la campagne en novembre déjà, on a organisé des conférences, on a distribué des tracts, mis sur pied des comités interpartis dans plusieurs cantons. Les syndicats Unia et Travail.Suisse ont mis de l'argent dans la campagne. Ensuite, il y a eu aussi Opération Libero. Mais pour tous les partis, y compris le PS, ce dossier n'est pas une priorité face à la RIE III.
N'aurait-il pas fallu faire porter le projet par un Alémanique, si possible PDC ou PLR?
Vous avez raison, on m'a trop personnalisée dans ce débat. A part Kurt Fluri (PLR/SO), on n'a pas trouvé cette personne! Dès le départ, le centre droit a été très frileux. Les plus réfractaires étaient les PDC alémaniques. Même chez les socialistes, les gens n'ont pas très envie de s'exposer sur les questions migratoires, car on ne prend que des coups. J'espérais une campagne joyeuse, positive, avec des jeunes. On l'a en partie faite avec des débats dans des écoles ou des conseils de jeunes. Mais au final, je crains qu'on reste sur l'impression sombre de la burqa.
Comment contrer cette affiche?
Il faudrait une contre-campagne d'affichage humoristique, comme on l'a vue sur les réseaux sociaux. Mais avec nos 7000 francs pour faire campagne, on a pu se payer en tout et pour tout dix affiches, dans cinq gares en Suisse alémanique. C'est dérisoire. Mais je ne sais pas si cette affiche a vraiment pris. Si j'en crois les deux sondages de Tamedia, effectué avant et après l'affiche, les opinions n'ont pas changé. Le oui a même très légèrement augmenté.
Comment être sûr qu'il n'y aura pas de jeune fille en burqa dans quinze ou vingt ans?
La politique ne se fait plus sur les faits. Les nouveaux arrivants en 2015 et 2016 sont dans l'ordre les Italiens, les Allemands, les Français, les Portugais et les Espagnols, qui représentent 60% de la migration en Suisse. Ce qui veut dire que même dans quarante ans, les étrangers de la troisième génération, ce seront toujours ces populations européennes. Au-delà des chiffres, cette affiche table sur une vision figée de l'histoire. Elle postule que les petits-fils d'Italiens ne parleraient que l'italien et ne mangeraient que des spaghettis. On sait bien que ce n'est pas le cas. C'est le temps qui fait l'intégration. L'UDC ne croit pas dans nos institutions. Moi oui: je sais qu'on ne fait pas de communautarisme en Suisse. Je sais que l'intégration, avec ses hauts et ses bas, fonctionne.
Mais beaucoup disent: si cette troisième génération était intégrée, elle aurait déjà le passeport suisse!
Les enfants ne sont jamais responsables de l'histoire migratoire de leurs parents. C'est pour cela qu'il faut des procédures différentes selon les générations. Pour les migrants qui arrivent, le premier souci, c'est de trouver un travail et de s'adapter au pays. Et pas d'obtenir un passeport, en passant un examen difficile qui parfois les terrifie. Pour la deuxième génération qui a grandi ici, il y a souvent un sentiment d'injustice à devoir prouver qu'on est intégré. La question du coût joue aussi un rôle. Introduire une procédure facilitée pour la troisième génération, c'est une façon de régler le problème et de régulariser leur situation.
Pourquoi les milieux économiques ne se sont pas mobilisés?
Ce n'était pas une question prioritaire pour eux, ils me l'ont clairement dit. A mon sens, c'est une erreur, car l'avenir économique, ce sont les jeunes. L'économie ne peut pas uniquement penser à son fric. Elle doit aussi penser à la jeunesse.
Est-ce que ça vaut la peine de faire un projet pour 25'000 personnes?
Oui, parce que ça permet de répondre à une question essentielle: quand est-ce qu'on arrête de fabriquer nos propres étrangers? Est-ce qu'on ne peut pas considérer qu'après trois générations, ils font partie des nôtres? Inverser le fardeau de la preuve, arrêter avec cette loterie suivant les cantons. Rien que dans un discours de société, c'est énorme. Ce qui est absurde, c'est qu'on doit passer par une double majorité.
On est très loin de la fenêtre d'opportunité de 2008. Vous regrettez d'avoir lancé le débat?
Je ne suis pas responsable du calendrier! Fallait-il retirer l'initiative? Je ne sais pas. Si on gagne, tout le monde aura participé. Et si on perd, ce sera ma faute et le débat sera enterré pour les 250 prochaines années! Cela dit, je reste confiante. Je pense que le peuple va dire oui. Mais je suis lucide: la double majorité, on le sait bien, c'est difficile à obtenir.
Et si c'est non? Quel avenir pour la question migratoire en Suisse?
Si on a la majorité du peuple, on pourra expliquer le résultat. On pourra dire aux jeunes étrangers: non, vous n'êtes pas des mal aimés. Si c'est un double non, ça sera très difficile. On pourra prendre la mesure de l'emprise du discours identitaire en Suisse. On sera dans une phase très noire. Mais je n'y crois pas. Et si c'est deux fois oui, cela voudra dire qu'on aura réussi à inverser cette tendance identitaire européenne. Cela voudra dire que les Suisses auront réussi à faire la part des choses. Quand on parle de la troisième génération, on ne parle pas de la théorie du Grand Remplacement. J'ai confiance dans le peuple.
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