Dans son essai sur la toponymie (1906), Henri Jaccard, professeur au collège d’Aigle, s’essaie aux origines étymologiques du lieu-dit de la colline du Mormont. Il écarte l’hypothèse de l’invasion des Maures, puis celle des marais de l’Orbe. Il penche plutôt pour «Mauromonte» tiré de la charte de 814 de Louis le Débonnaire à l’Église de Lausanne: la roncière. Ce serait le mont des ronces à mûres. Bref, les plus spécialistes trancheront. Les autres savent qu’en se baladant alentour, on y voit au printemps pousser les nivéoles ou les jonquilles.
Il y a quelque chose d’assez fascinant dans ce que vous racontent, depuis lundi passé, Camille Krafft et Erwan Le Bec dans nos colonnes. Un jeu de pouvoir entre l’économie, la nature et l’histoire. Entre une industrie prospère, un paysage classé à l’inventaire fédéral, et un site celtique découvert en 2006 et classé bien culturel d’importance nationale. Important, oui. Mais pas assez pour empêcher Holcim de continuer à exploiter le calcaire dans cette carrière et de nourrir les bouches et les caisses communales des villages de la région. Pour retrouver la grandeur déchue de l’archéologie – donc la mémoire de ce que nous sommes –, il faut plutôt se brancher sur Netflix. «The Dig» romance la vraie bataille homérique, en 1939, pour s’approprier la découverte d’un bateau funéraire anglo-saxon datant du début du VIIe siècle… et le trésor qui en découle.
Mais le trésor d’Éclépens ou de La Sarraz, aujourd’hui, c’est plutôt le ciment. Oui, c’est vrai, cela peut faire mal aux yeux, au cœur, à l’âme de voir des bouts de montagne éventrés. D’autant plus que tout ça ne se fait visiblement pas sans pollution. Mais Holcim rappelle que son site présente un bilan carbone 25% meilleur que ses concurrents européens, que son four a le potentiel d’alimenter en électricité 1700 ménages, qu’il a financé une partie des fouilles archéologiques et que quelques espèces rares se cachent dans les trous façonnés par les mineurs. Et puis, bien sûr, les plus de 150 emplois directs..
«Cela peut faire mal aux yeux, au cœur, à l’âme de voir des bouts de montagne éventrés.»
Le porte-parole du groupe aurait aussi pu ajouter que le ciment, objet de lobbyisme intensif et d’intérêts commerciaux dans des régions pas toujours démocratiques, joue également un rôle patrimonial. Que serait l’architecture contemporaine sans cet «assemblage de matériaux de nature généralement minérale»? Ne serait que les ondulations du Learning Center de l’EPFL, les œuvres modernistes de Le Corbusier ou spiritualistes de Tadao Ando. Au XIXe siècle, ce sont des dizaines d’usines implantées dans les pays qui ont participé à l’essor du… chemin de fer. Bref, par Caturix – Dieu de la guerre chez les Helvètes – la vérité, que l’on soit zadiste, écologiste, capitaliste ou archéologiste, a ses fissures. Laisse béton, chantait Renaud. Mais au Mormont, personne ne veut laisser tomber.
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Éditorial – Pourquoi, au Mormont, personne ne laisse béton