Je viens de démissionner de mon poste d’enseignant dans un gymnase vaudois après avoir enseigné cinq ans. Récemment, d’autres ont fait de même. S’il nous arrive d’évoquer nos doutes ou d’émettre des critiques sur notre métier, quitter un poste avec un tel confort et une telle sécurité est révélateur de profonds dysfonctionnements. On peut y opposer la posture consistant à rester pour transformer l’école de l’intérieur. Voici pourquoi je n’y crois pas.
Les textes officiels attribuent à l’école des valeurs d’émancipation et d’ouverture. Dans la réalité, elle prépare principalement au monde du travail et à son fonctionnement hiérarchique. La sélection à opérer entre les futur·e·s employé·es, cadres, cadres supérieur·es nécessite des outils de mesure des performances individuelles (les notes) sur des compétences et des savoirs qui sont jugés comme prévalant sur d’autres (le plan d’étude).
«Les initiatives personnelles s’écartant des contenus prescrits sont (auto-)censurées.»
L’importance démesurée accordée à ces deux éléments vide l’enseignement de tout ce qui fait son intérêt. Les enseignant·es courent après un programme trop chargé et le rythme de progression soutenu ne laisse guère le temps de s’approprier en profondeur les contenus.
Quant aux modes d’appropriation, ils ne laissent que peu de place à la découverte, l’imagination, la recherche personnelle ou collective et l’entraide. Les initiatives personnelles s’écartant des contenus prescrits sont (auto-)censurées par crainte de perte de temps ou de la difficulté à imaginer comment évaluer des contenus moins habituels.
Peu de réjouissances également pour les élèves. Ils et elles ont depuis longtemps intégré que, pour l’institution, seule compte la moyenne. Par conséquent, les notes. Difficile de faire preuve d’intérêt, de curiosité et de motivation. L’école répond à ce problème de façon autoritaire: à défaut d’avoir de l’imagination, elle fait, par l’intermédiaire des enseignant·es, usage de son pouvoir pour assurer le rythme nécessaire afin de mener à terme le processus de sélection. Les écarts sont combattus par des sanctions disproportionnées qui ne font qu’aggraver le malaise. Il en résulte une tension latente entre les enseignant·es et les élèves, ainsi que les discours dénigrants que l’on connaît de part et d’autre.
Dans une impasse
Nous sommes dans une impasse dont la responsabilité incombe principalement aux organismes étatiques (DEF, SEFRI, CDIP, etc.) et aux autorités politiques. Entre enjeux électoraux et visions archaïques de l’école, ils n’ont pas d’intérêt à voir l’école se transformer autrement que vers la professionnalisation et sa numérisation.
Les initiatives d’enseignant·es s’écartant des normes se heurtent au manque de soutien des directions, du DEF et/ou au manque de moyens financiers. Les critiques de fond de l’école sont qualifiées d’utopiques afin de les balayer sans autre forme de procès. Or, les enjeux sociaux et environnementaux imposent le recours à l’imagination pour repenser de fond en comble l’enseignement et l’institution scolaire.
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L’invité – «Pourquoi j’ai démissionné de l’école vaudoise»
Nicolas Rossi quitte avec regret un travail qu’il aime mais dont il ne voit plus le sens.