Le revirement est lent et progressif, mais pas moins radical. Depuis peu, la société réclame une approche plus responsable face à l’environnement. Y compris face au bâti existant. Il y a quelques mois, à Bâle, l’exposition du Musée de l’architecture «Die Schweiz: Ein Abriss» («La Suisse: une démolition») sonnait comme une dernière alerte avant l’apocalypse, illustrée d’un atlas des destructions pour le moins terrifiant.
«Il faut composer avec le bâti existant, l’ausculter, saisir ses qualités, corriger ses défauts.»
Relayée dans la presse quotidienne, l’idée d’un moratoire sur les nouvelles constructions a fait son entrée dans le débat public, accueillie avec curiosité par la population suisse et une certaine frayeur de la part des milieux immobiliers (et de quelques architectes). Certains vont même jusqu’à exhumer Lucius Burckhardt, penseur de génie trop longtemps oublié, initiateur de la «promenadologie» qui réinvente notre relation à l’environnement et dont les propos résonnent aujourd’hui par leur actualité, pour ne pas dire comme une prophétie.
Le thème du réemploi, aussi, s’est invité dans les concours d’architecture, parfois suggéré dans les programmes publics, plus souvent sur initiative des concurrents. Solution de dernier recours face à la démolition, la récupération et la réutilisation des accessoires du bâtiment, jusqu’aux éléments constructifs, est même plutôt à la mode, nos amis belges du bureau Rotor ayant réussi à faire de ce mécano vraie grandeur un jeu séduisant, aux potentialités multiples.
Dans ce contexte foisonnant de (bonnes) idées, la réhabilitation/rénovation acquière de nouveaux titres de noblesse, alors que pendant des décennies de croissance économique insouciante et incontrôlée, elle était reléguée parmi les pratiques de seconde zone, activité réservée à des architectes peu inventifs et quelque peu frustrés de ne pas pouvoir exprimer leur créativité débridée.
On le redécouvre maintenant: il faut prendre soin de ce qui est déjà là et en tirer parti. Et, disons-le, pour les architectes, c’est du pur plaisir: une démarche riche de sens sur le plan culturel, autant qu’enthousiasmante sur celui de la conception.
Nous n’avons rien à envier à ces projeteurs des années 1960 qui, d’un trait habile de Rapidograph, dessinaient des morceaux entiers de villes pour répondre aux besoins d’une société en plein essor. La feuille blanche, c’est fini. La densification à tout va, elle aussi, pose question. S’il y a encore dix ans, les pouvoirs publics sacrifiaient le stade de la Pontaise sur l’autel de la ville écologique, la démolition d’un équipement des années 1950, qui nous est offert aujourd’hui comme une ressource, demande à être remise en cause sans tarder.
Il faut maintenant composer avec le bâti existant, l’appréhender, l’ausculter, saisir ses qualités, corriger ses défauts. Autrement dit, il faut faire avec ce qui est déjà là, et le faire avec pragmatisme et mesure, autant dire avec sensibilité.
Le «second hand» a la cote
De toute évidence, un changement sociétal profond est en marche. Le «second hand» a la cote parmi les nouvelles générations. Elles souhaitent vivre slow et responsable. Et c’est très bien. Pour nous et pour la Planète. «Reduce. Reuse. Recycle»: la formule introduite lors de la Biennale d’architecture de Venise en 2012 n’aura jamais été aussi omniprésente, inscrite sur nos gourdes réutilisables et nos sacs de courses en coton biologique. Souhaitons que cela ne reste pas un slogan commercial dénué de sens. À commencer par notre environnement bâti.
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Carte blanche – Prendre soin de ce qui est déjà là
Le recyclage a la cote: les architectes doivent s’y mettre aussi en transformant le bâti existant plutôt que de le démolir.