«Profitons-en pour réinventer nos familles!»
Le pédiatre et thérapeute des familles, Nahum Frenck, explique comment ne pas faire de ce huis clos un enfer, mais un carnaval.

Le coronavirus, le confinement, la peur, le télétravail, les écoles et garderies fermées: un sacré défi pour les familles. «Une chance!» rétorque le pédiatre et thérapeute de familles Nahum Frenck, résolument optimiste. Interview.
Comment parler de cette pandémie à nos enfants sans les affoler?
Il faut leur en parler ouvertement, avec des mots simples. Leur dire qu'il s'agit d'un virus qui est venu, que nous ne savons pas grand chose sur lui, que nous espérons qu'il va partir et que pour le moment la seule réponse que l'être humain a, c'est de s'isoler pour éviter la dissémination. Et je pense que c'est l'occasion rêvée de faire ressortir des mots comme «responsabilité» et «solidarité».
Certains enfants sont très inquiets, comment les rassurer?
On répond à leurs questions au fur et à mesure, on ne précède pas leur demandes. Sinon, on projette notre propre angoisse et cela, en tant qu'adulte, nous n'avons pas le droit de le faire. Et s'ils se soucient de leurs grands-parents «abandonnés» à l'EMS, on les rassure en leur disant qu'il y a des moyens électroniques de leur parler, d'être avec eux et qu'ils peuvent aussi leur faire un dessin, envoyer une lettre.
Les rapports sociaux entre enfants sont mis à mal par les consignes sanitaires, certains souffrent beaucoup d'être séparés de leurs camarades...
Là aussi, pour rester en contact avec les copains, profitons des outils de communication virtuels. Cela peut même donner naissance à de nouvelles préoccupations. Par exemple, même à mon âge, j'ai reçu ces derniers jours des téléphones de gens que je ne voyais pas depuis longtemps et qui voulaient savoir comment j'allais. Et moi, j'ai fait de même. Il y a une sorte de réveil.
Un réveil des liens entre humains?
On a enfin du temps! Profitons-en pour resserrer ou reconstruire les liens, pour parler autrement, pour penser la vie autrement. N'oublions pas que la crise est une opportunité de changement. Quand vous voyez les images satellite de la Chine et que la pandémie a permis de diminuer considérablement la pollution, ça fait réfléchir autrement…
Faut-il mettre en avant les bénéfices secondaires de cette crise pour rassurer nos enfants?
Bien entendu! Il faut qu'ils puissent avoir de l'espoir, une confiance, parce que sinon, on tue leur vie.
Oui, mais il baignent tout de même dans une ambiance apocalyptique. Les parents peuvent-ils être un filtre?
On va survivre à ça, on a survécu à la peste au moyen-âge, à la grippe espagnole de 17. Peut être qu'on sortira de cette crise avec une autre société, peut-être plus solidaire. Si les gouvernements peuvent débloquer des milliards, des centaines de milliards pour renflouer l'économie, cela veut dire qu'on a des réserves pour répondre à la pauvreté. Le virus a déjà réussi ce qu'aucune Greta ni aucun dirigeant n'est parvenu à changer.

Le confinement, la quarantaine, ça peut être l'enfer domestique, comment préserver la cellule familiale?
Pour fonctionner, une famille - qu'elle soit monoparentale, recomposée ou autre - a besoin de points de repères ou de points de «remères». Il serait judicieux que les parents et les enfants s'assoient pour construire ensemble une sorte de script familial propre à chaque famille pour le déroulement de la journée. On se lève à 8h30, on prend le petit déjeuner, à 9h, on fait la gymnastique, à 10h on fait ceci, à 11h cela, etc. Etant donné qu'on est enfin maître du temps, sentons-nous libre! Il n'y a pas les courses, le travail, les arrivées tardives, tout ça, ça n'existe plus. Profitons de faire de ce temps sacré qui nous est offert une sorte de carnaval!
Faire d'une pandémie un carnaval?!
Le temps profane, c'est quand on doit aller au boulot, à l'école, chercher les enfants à la garderie à 7h du soir. Maintenant on est dans un temps que j'aimerais appeler temps privilégié, un temps sacré, un temps de carnaval. Puisque nous avons la liberté de temps, construisons ce que nous voulons avoir comme dynamique familiale. Que ce soit avec des enfants de 3 ans ou des ados de 13 ou 19 ans.
Le confinement est plutôt ressenti comme une restriction de liberté, ce n'est pas l'idéal pour la paix des ménages, non?
Bien entendu, mais étant donné les circonstances, on est contraint de faire cela à la maison. C'est entre nos mains de ne pas donner raison à Sartre avec son «Huis Clos». A nous de faire en sorte que l'enfer, ce ne soit pas les autres. Inspirons nous plutôt de Roberto Benigni dans son film «La vie est belle», où un père a pu, grâce à son discours, transformer une tragédie énorme en une comédie pour son enfant. C'est magnifique comme image! Nous pouvons être ce genre de filtre pour nos enfants et les arroser avec une grande générosité.
Cela semble un remède merveilleux pour une famille qui fonctionne, mais pour celles qui dysfonctionnent, le confinement est forcément un cauchemar, non?
Toutes nos familles sont dysfonctionnelles à certains moments et fonctionnent bien à d'autres moments. Donc, si nous avons la présence d'esprit et la générosité d'identifier ces moments dysfonctionnels, alors nous pouvons modifier quelque chose pour améliorer la situation. Par exemple, si la tension monte et qu'un des parents aimerait crier parce que la partie éducative veut s'imposer dans ce huis clos, peut-être qu'il peut exprimer son désir d'éducation en chantant une chanson qui lui plaît, tout en disant aux enfants, à chaque fois que je chante, c'est pour ne pas crier. Dans ce huis clos, on est libre! Libres de laisser se déployer notre créativité.
En cas de garde partagée, comment faire? Faut-il laisser la liberté de choisir aux enfants?
Surtout pas ! A n'importe quel âge, ce sont les parents qui décident. Il n'y a aucune raison que le coronavirus change les règles qui ont été établies. Où est le problème? Les enfants vont monter dans une voiture, être amenés chez l'autre parent et ainsi de suite. Il n'y a pas d'interdit. Même en France, la feuille à remplir pour justifier les déplacements prévoit un petit carré pour les enfants en garde partagée. Ils ont pensé à ça, c'est remarquable!
Vous n'êtes donc pas inquiet pour les familles?
S'ils ont l'habitude de se bouffer le bec, ils vont continuer à le faire jusqu'à ce qu'ils voient que cela ne les amène nulle part. Cela fera des séances de thérapie gagnées pour moi. Par exemple, là je viens d'avoir trois séances de vidéothérapie et c'est magnifique, des enfants qui étaient en conflit ouvert avec leurs parents, vous les voyez s'asseoir tout contre leur maman pour être dans le champ de la caméra de l'ordinateur. C'est très joli. Non, je ne suis pas désespéré.
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