Là-haut sur la montagne, chaque année à la saison de l’estivage, un loup s’en prenait à des moutons qui ne demandaient qu’à paître en paix. Finalement capturé, son sort paraissait des plus nébuleux lorsqu’un vieux loup du barreau, zélé défenseur des animaux et médiéviste à ses heures perdues, a pu convaincre la justice d’accorder à la bête un procès. Une première depuis des siècles.
Jour de l’audience. Dans le public, pro et anti-loups se fixent en chiens de faïence. Le canidé, séquestré au parc de La Garenne, a été excusé. Pour le Parquet, l’affaire est limpide, il s’agit d’un prédateur multirécidiviste qu’il faut abattre. Mais le juge, qui ne connaît rien aux loups, se résout tout de même à entendre quelques experts et témoins.
«Un restaurateur soutient que la présence du loup est un atout pour le tourisme. Un autre clame le contraire.»
Un éleveur au seuil de la dépression appelle de ses vœux l’extermination d’une créature qu’il voit menacer la survie de son exploitation. Une naturaliste prône la cohabitation au motif que l’on exagère la dangerosité d’un animal pourtant familier depuis des millénaires. Un garde-chasse estime qu’il faut réguler la population des loups, en constante augmentation dans le pays depuis leur retour en 1995.
Un forestier salue la présence du loup en altitude car trop de moutons signifie moins d’herbe pour les chamois, qui vont se rabattre sur la forêt en occasionnant de gros dégâts sur leur passage. Un chasseur fait grief au loup d’être un concurrent direct puisqu’il convoite les mêmes proies que lui. Une historienne expose que la vilaine réputation du canidé puise ses origines en partie dans la symbolique chrétienne.
Un restaurateur soutient que la présence du loup est un atout pour le tourisme. Un autre clame le contraire. Une psychologue juge irrationnel et puéril l’effroi que le loup suscite. Un coureur de fond avoue sa phobie d’en croiser dans les bois. La psychologue lui tend sa carte de visite. Un complotiste affirme qu’il n’y a pas de loups en Suisse. Un fonctionnaire fédéral assure qu’une task force sera mise sur pied pour étudier la problématique.
Mal-aimé et mal compris
Le juge déclare enfin que l’instruction est close et donne la parole au Parquet puis à l’avocat de la défense. Son client, assène ce dernier, loin d’être le chien des Baskerville ou la Bête du Gévaudan, a la malchance d’appartenir à une espèce mal-aimée et surtout mal comprise depuis la nuit des temps, parée sans fondements d’attributs anxiogènes, bouc émissaire par excellence dans le bestiaire de l’imaginaire collectif. Et puis, si la loi sur la chasse et son ordonnance d’application autorisent à certaines conditions le tir d’un loup en liberté, qu’en est-il d’un loup en captivité? L’avocat plaide la libération immédiate de son client.
Le juge, souffrant visiblement de migraine, annonce la levée de l’audience en précisant que le verdict sera rendu le lendemain.
Jour du verdict. Le magistrat informe l’assistance que la sentence devra être rendue in absentia. Le loup s’est évadé.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
L’invité – Promenons-nous dans les bois
Robert Ayrton imagine ce que pourrait être le procès du loup.