Les grands monuments historiques embellissent nos localités, ils sont admirés et servent de décor aux photos des touristes. Plus ils sont vieux, plus ils inspirent le respect des contemporains qui mesurent, à travers ces témoins d’un passé lointain, la relativité de leur propre existence. En revanche, les bâtiments modernes font l’objet de réactions contrastées. Leurs caractéristiques architecturales sont souvent contestées, comme tout ce qui est neuf. Il faut compter trente à cinquante ans avant que ces qualités sont appréciées.
Avec la frénésie des démolitions qui sévit actuellement en Suisse et ailleurs, bien des édifices d’importance disparaissent avant que les protecteurs aient pu se mobiliser. Les réactions plus que mitigées au sein du public face à des décisions de classement de maisons des années 60 ou 70 illustrent bien le fait que les spécialistes précèdent le commun des mortels, lorsqu’il s’agit de reconnaître la valeur d’un bâtiment.
«Un monument doit, pour bénéficier de mesures de classement, être le témoin d’une époque identifiable.»
Alors, est-il plus facile de protéger une construction ancienne qu’un témoin de la modernité, dont les fondations ont été posées après 1945? La réalité est plus complexe et parfois même paradoxale. Si les décisions de classement étaient soumises à une votation populaire, il serait en effet plus difficile de mobiliser l’opinion publique pour sauver un édifice moderne. En revanche, les vieilles maisons menacées se trouvent souvent dans un état lamentable. Nombreux sont alors ceux qui appellent à faire disparaître cet objet qui enlaidit le site.
C’est au niveau des critères qui font qu’un monument est digne ou non de protection que se trouve la difficulté. Dans la grande majorité des cantons, un monument doit, pour bénéficier de mesures de classement, être
le témoin d’une époque identifiable. Pour une maison moderne, cela ne pose aucune difficulté: elle représente sans ambiguïté la période de son édification. En revanche, une bâtisse ancestrale a, en règle générale, subi de nombreuses transformations au fil de son histoire. Si ces adaptations aux exigences des époques successives ont assuré sa survie, elles ont du même coup modifié son apparence. Un tel amalgame de styles est-il digne de protection? Du point de vue du commun des mortels, sans doute. Mais la réponse est-elle aussi claire selon les critères plus stricts des spécialistes et des juristes, appelés à trancher la question?
Une longue histoire
De nombreuses fermes très anciennes disparaissent, car elles ne peuvent être rattachées à une époque déterminée, entre quelques traces du XVe ou du XVIe siècle et des transformations ultérieures. Le système de protection ne permet pas de les valoriser comme témoins d’une longue histoire significative, pour notre mémoire collective.
Parfois les juges sauvent des biens qui ne répondent pas au critère d’une apparence stylistique cohérente, en leur reconnaissant une position centrale dans la protection d’un site ou parce qu’ils marquent un quartier, un village ou le paysage. Cela est positif sans doute, mais n’est-il pas paradoxal, voire absurde, que la protection de nos plus anciens témoins du passé dépende non pas de leurs qualités architecturales, mais uniquement de leur intégration dans un ensemble urbain?
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Carte blanche – Protéger un édifice moderne est plus facile qu’un vieux monument
Si les anciennes constructions fascinent, leur sauvegarde se heurte paradoxalement à des critères légaux qui oublient de reconnaître une part de leur histoire, observe Martin Killias.