Dimanche soir, je suis passée par hasard devant la longue file d’attente de la soupe populaire de l’église Saint-Eustache à Paris. L’ami qui m’accompagnait habite à côté. Il m’a confirmé que c’était ainsi tous les soirs d’hiver, durant lesquels 30’000 repas chauds sont distribués aux plus démunis.
Beaucoup de jeunes attendaient dans la foule des anonymes. J’ai repensé à une discussion que j’avais eue quelques mois plus tôt avec un des responsables de l’aide alimentaire pour les étudiants dans la précarité à Grenoble. Une ville étudiante, où, comme partout en France, l’inflation à deux chiffres fait des ravages. L’association distribue des centaines de colis de nourriture, mais aussi des produits d’hygiène de première nécessité, comme du savon et du shampooing. «Les jeunes filles ne peuvent même pas s’acheter des tampons», m’avait-il avoué.
«Aujourd’hui, étudier ne va plus de soi, surtout lorsqu’on ne peut plus habiter chez ses parents.»
Lorsque j’étudiais à Neuchâtel, mes parents payaient tout: mon petit studio, mes dépenses journalières, mon assurance maladie, mon argent de poche. Je n’avais qu’un seul souci, un contrat tacite entre eux et moi, celui de réussir mon année. Certains de mes amis travaillaient à côté de leurs études, d’autres avaient des bourses, mais bon an mal an, nous nous retrouvions tous sur les bancs de la fac et aux examens. Quoi qu’en en dise, nous étions insouciants, protégés par nos familles, et rares étaient ceux qui, par manque d’argent, devaient abandonner leurs études en cours de route.
Aujourd’hui, étudier ne va plus de soi, surtout lorsqu’on ne peut plus habiter chez ses parents. Plus de la moitié des étudiants français avouent ne pas manger à leur faim. Certains se privent de chauffage, jonglent avec un budget alimentaire de 80 euros par mois. S’accrochent aux petits jobs précaires, quitte à repousser les examens, lorsqu’ils ne tombent pas dans la spirale infernale de l’endettement.
En Suisse aussi, les étudiants souffrent de l’inflation. Loyers et transports sont hors de prix. Trois quarts d’entre eux travaillent à côté de leurs études. L’accès aux aides est difficile et les montants souvent insuffisants. Sous la pression des associations, l’Université de Genève a introduit des repas de cantine à 5 francs. À Lausanne, on se bat toujours.
Lutte quotidienne
À Paris comme ici, cette lutte autour d’un repas chaud abordable par jour est devenue un symbole. Étudier et manger à sa faim devraient être une évidence dans nos sociétés. Les futurs cerveaux que forment nos universités devraient tendre chaque jour à exceller dans leur domaine et non pas comparer les étiquettes des prix dans les supermarchés. Ils devraient plancher sur leurs cours et non sur les rappels de factures. Et pouvoir se distraire le week-end au lieu de faire la queue devant les banques alimentaires.
«Profite de tes études, me sermonnaient mes parents. Ce sont les plus belles années de ta vie.» Elles le furent. Et elles devraient continuer de l’être.
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La rédaction – Quand il faut choisir entre étudier et manger
En France, la moitié des étudiants ne mangent pas à leur faim. Constat peu reluisant d’une société qui laisse tomber sa jeunesse.