Patrimoine lausannoisQuand le clan Payot donne pignon sur rue à la littérature
Dès 1912, la boutique au coin de la rue de Bourg et de la place Saint-François concrétise la réussite cossue de la librairie.

À la fin du XIXe siècle, comme la France où «la librairie moderne» prolifère et implante une nouvelle géographie, la Suisse romande s’ouvre, elle aussi, à ce que les intellectuels appellent joliment «les boutiques d’esprit». À Lausanne, Fritz Payot, une trentaine d’années, revenu d’Allemagne et d’Angleterre, s’émancipe de son employeur pour ouvrir son enseigne en solo en 1886.
À sa mort en 1900, ses fils Samuel et Gustave héritent d’une affaire florissante, à la fois dans la vente et l’édition, et six ans plus tard, investissent dans la construction d’un siège marqueur de cette opulence. L’époque elle aussi impose ses critères. Jadis cantonnée à l’étage, la littérature prend ses aises au rez-de-chaussée, s’expose dans les vitrines à l’instar des boutiques londoniennes, fait même sa publicité.

Le lieu symbolise un pouvoir économique. Inauguré en 1913, l’immeuble matérialise un âge d’or, alors que les libraires viennent d’ouvrir une enseigne à Paris. Bientôt la famille va aussi créer des succursales en Suisse, à Montreux et Vevey en 1918, à Genève l’année suivante, Berne en 1921, Neuchâtel en 1923.
La façade lausannoise structurée en lignes rigoureuses sur ses piliers angulaires, allégée par un quadrillage de fenêtres, semble matérialiser la sécheresse des opérations commerciales et l’ouverture spirituelle de ce qui s’y négocie. Jusqu’à la progression des étages… Au quatrième niveau, des corbeilles fleuries oxygènent l’austérité requise dans cet étalage fortuné.

Le style des architectes Monod & Laverrière emprunte beaucoup aux riches villes de la Hanse. Les experts voient même des citations directes de l’architecture contemporaine de l’Allemagne d’alors, le magasin Tietz à Düsseldorf notamment. Dans «Architecture de poche (4). Lausanne, banques, bureaux et commerces», sous la direction de David Ripoll et Gilles Prod’hom, la nature même de cette construction est définie comme une fusion entre la création et l’industrie.
«Inauguré en 1913, l’immeuble matérialise un âge d’or, alors que les libraires viennent d’ouvrir une enseigne à Paris.»
Ce petit chef-d’œuvre d’art total, au sens esthétique du terme lancé au XIXe siècle en Europe, surplombe ainsi avec hauteur la rue de Bourg, artère bourgeoise et prestigieuse, et la place Saint-François, espace de circulation vitale et stratégique. Les étages sont réservés aux ouvrages scientifiques et scolaires, aux services administratifs et éditoriaux, tandis que les boutiques de plain-pied accueillent les amateurs d’ouvrages plus populaires. À l’époque, tout le quartier vibre pour la société de consommation, des Galeries du commerce au Grands magasins Bonnard. Les auteurs du livre conseillent d’ailleurs une promenade axée sur ces temples d’antan.
«Architecture de poche (4). Lausanne, banques, bureaux et commerces»
Collectif sous la direction de David Ripoll et Gilles Prod’hom
Éd. SHAS, 241 p.
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