La scène est assez rare pour être remarquable. Lundi, dans une audience du Tribunal correctionnel de l’Est vaudois, tout le monde marche sur des œufs: juges, procureure, avocats de la partie civile et de la défense. Chacun tient à ménager le prévenu qui, lui, bouillonne, déborde, s’emporte. Depuis six ans, ce petit entrepreneur, comprimé par une taxation d’office surdimensionnée, tempête contre le fisc.
C’est vers l’Office des poursuites que l’homme a dirigé sa colère et, chose exceptionnelle, une collaboratrice de ce service a recouru à la voie pénale pour tenter de mettre fin à ses pressions. Elle avait pourtant été formée à la gestion des conflits, avait actionné l’échelon de médiation prévu pour les situations les plus envenimées.
Depuis une dizaine d’années, les «mal-aimés» de l’État multiplient les efforts pour améliorer leurs rapports avec les administrés. Malgré les séminaires de psychologie, la formation au désamorçage de conflits et la courtoisie généralisée qui tranche avec la posture réprobatrice pratiquée autrefois à ces guichets, le ressentiment semble enfler. Moins en nombre d’épisodes qu’en intensité.
«Si tout le monde est si précautionneux face à ce patron qui se sent broyé par les rouages impitoyables de l’État, c’est peut-être, comme il le répète à l’envi, parce que sa propre violence répond à celle générée par les institutions elles-mêmes.»
Tentons ici une bribe d’explication, qui nous fait revenir au face-à-face judiciaire de lundi. Si tout le monde est si précautionneux face à ce patron qui se sent broyé par les rouages impitoyables de l’État, c’est peut-être, comme il le répète à l’envi, parce que sa propre violence répond à celle générée par les institutions elles-mêmes.
Pas celle des individus qui la composent, mais celle d’un système aux voies pas toujours lisibles, au vocabulaire tarabiscoté, à la coordination largement perfectible, à la rigidité pesante et à la lenteur décourageante.
Dans les pas perdus, même une fonctionnaire le concédait à voix basse: face à ce père de famille, certes probablement en partie à l’origine de sa situation, la grande machine étatique n’a «pas forcément fait tout juste.» On se gardera ici de faire la leçon. On dressera juste le constat que le manque de nuances propre à tout système est le premier ingrédient de fabrication d’un quérulent.
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Éditorial – Quérulents, mode d’emploi
Les services mal aimés de l’État fournissent toujours plus d’efforts pour apaiser les relations avec les administrés. Pourtant, l’agressivité s’intensifie. Cela s’explique-t-il?