Rendez-vous en terre africaine
À Moiry, au fond du val d'Anniviers, le géologue Michel Marthaler propose une balade qui est un véritable condensé de l'histoire de la Terre.
Un sentier de montagne comme il y en a tant dans les Alpes. Balisé rouge et blanc, alternant terre, grosses pierres et gravier, il offre de beaux points de vue sur le glacier en ligne de mire. Mais celui-là, qui grimpe au fond du val d'Anniviers, entre le lac de Moiry et la cabane du même nom, n'est désormais plus tout à fait comme les autres, grâce au talent de vulgarisateur du géologue Michel Marthaler.
«Passer d'un terrain fait de roches d'origine européenne à d'autres venues des profondeurs de l'océan, avant de rejoindre une montagne d'origine africaine»
L'ancien professeur de l'Université de Lausanne, 70 ans, vient en effet de lui consacrer un petit ouvrage très intéressant et pratique, «Moiry: de l'Europe à l'Afrique», qui offre un éclairage neuf sur nos montagnes. «J'ai choisi cet endroit car, sur un itinéraire très court, il permet de passer d'un terrain fait de roches d'origine européenne à d'autres venues des profondeurs de l'océan, avant de rejoindre une montagne d'origine africaine», explique-t-il.
Autrement dit, en quelques heures de marche, c'est à un formidable voyage dans le temps qu'il nous invite, entre –500 millions d'années et aujourd'hui. Suivons-le. Depuis le parking situé à côté du barrage de Moiry, à 2250 mètres d'altitude, l'itinéraire balisé par Michel Marthaler compte 15 stations (marquées par des plaquettes), correspondant à autant de chapitres de son guide, où photos, croquis et schémas complètent le texte.
«Une époque où la vie n'existait que dans l'eau et où les continents tels qu'on les connaît aujourd'hui n'existaient pas»
«Le barrage de Moiry, comme les autres barrages des Alpes, a été construit sur du solide gneiss européen», commente le géologue. De la roche vieille de plusieurs centaines de millions d'années, une époque où la vie n'existait que dans l'eau et où les continents tels qu'on les connaît aujourd'hui n'existaient pas.
D'un large mouvement du bras, Michel Marthaler désigne le paysage environnant: «D'ici, en direction de l'ouest, on peut déjà voir comment deux grandes familles de roches se superposent, l'une continentale, l'autre océanique. Et ça penche, les couches de l'Europe descendent vers le sud. On peut aussi observer ce que j'appelle les trois histoires du paysage, à savoir la naissance des roches, il y a des centaines de millions d'années, leur plissement et la formation des montagnes à cause de la tectonique des plaques, entre –100 et –10 millions d'années, et enfin l'érosion, qui a dessiné la forme actuelle des montagnes et se poursuit de nos jours.»
En suivant les balises vertes
En suivant le chemin sur la rive gauche du lac artificiel, sept petites balises vertes renvoient au guide et permettent de se familiariser avec des notions telles que la Pangée, ce seul et immense continent d'il y a 270 millions d'années, l'histoire de sa rupture, ou encore avec différents types de roches comme les laves «en coussin» du Jurassique (environ –150 millions d'années).
«Les blocs noirs, c'est de la serpentinite, née au fond de l'océan vers –200, –150 millions d'années»
Au bout du parking situé au sud du lac, les promeneurs passent à côté de gros blocs de pierre qui empêchent les véhicules d'aller plus loin sur le chemin du glacier. Pour le géologue, il y a là toute une saga à raconter: «Les blocs noirs, c'est de la serpentinite, née au fond de l'océan vers –200, –150 millions d'années. Les blancs, du gneiss âgé de 280 millions d'années provenant de la plaque africaine, à des milliers de kilomètres plus au sud.»
L'océan enfoncé sous l'Afrique
Pour comprendre comment et pourquoi ces rochers «immigrés» sont là, il faut maintenant monter en direction de la cabane de Moiry. Le schéma du paysage proposé par le géologue est alors celui du moment où le fonds de Thétys, l'océan disparu, s'est enfoncé sous la plaque du continent africain, vers –60 millions d'années. En avançant le long de la moraine – qui montre jusqu'où s'étendait le glacier vers 1850 – la couleur du rocher au-dessus de nos têtes, sur la gauche, change: la roche d'origine océanique, de couleur sombre, cède la place au gneiss d'origine africaine, bien plus clair. Et Michel Marthaler peut aller poser tout sourire au pied d'une paroi raide: «Bienvenue en terre africaine!»
On se rend alors compte que les sommets environnants, aux formes acérées (Aiguilles de la Lé, Dent-Blanche, Pointes-de-Mourti, Pointe-de-Moiry, Couronne de Bréonna), appartiennent tous à ce même ensemble, que les géologues appellent «nappe de la Dent-Blanche». Un reste de l'ancienne plaque africaine d'avant la séparation des continents actuels. Le Weisshorn, le Zinalrothorn en font également partie, de même que l'emblématique Cervin, auquel Michel Marthaler avait consacré un précédent ouvrage, «Le Cervin est-il africain?» best-seller de l'édition romande avec 9000 exemplaires vendus et des traductions en allemand, en italien et en anglais.
Sublime terrasse face au glacier
Mû par le désir de transmettre ses connaissances, sa passion pour l'histoire géologique de notre planète et en particulier des Alpes, l'auteur n'a pas eu de mal à convaincre les Anniviards du bien-fondé de sa démarche. Aux randonneurs, reste maintenant à avaler les derniers lacets menant à la cabane de Moiry et à sa sublime terrasse face au glacier (qui recouvre donc ces gneiss qui ferment tout le fond du val).
Il faudra pourtant s'en arracher et redescendre par le même itinéraire en admirant le bleu turquoise du lac de Moiry, avant de retrouver… l'Europe.
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