Tout va bienSecond degré
Et alors le prince, transpirant d’anxiété à l’idée de commettre un geste inapproprié, se penche sur Blanche-Neige endormie et demande: «Je… je peux t’embrasser?» À quoi la belle, plus réveillée qu’il n’y paraît, répond in petto: «Quel coincé… j’ai couché avec 7 nains, je te rappelle!»
Humour potache, humour qui tache, humour jubilatoirement grossier, humour Charlie. Il y a dix jours, la dessinatrice Coco, survivante des attentats contre l’hebdomadaire satyrique et récemment embauchée par «Libération», publiait ce dessin en réponse à la énième polémique étasunienne sur le baiser non consenti du prince à Blanche-Neige. Ni une ni deux, voilà notre héroïne de la liberté d’expression étrillée sur les réseaux sociaux: Coco collabo, complice de la culture du viol.
Qu’est-il en train d’arriver à l’humour? Je regarde le dessin de Coco. Il s’inscrit dans une vénérable tradition iconographique née au XXe siècle, portée notamment par «L’écho des savanes»: la Blanche-Neige cochonne pleine de nains partout, un classique. Nous sommes, faut-il le préciser, dans l’humour au second degré, où la grossièreté a une mission libératrice: ici, dynamiter le mythe patriarcal d’un idéal féminin de chaste passivité.
Plus généralement, l’humour trash de Coco résonne à l’unisson des sombres plaisantins qui, tout au long de l’histoire de l’humanité, de catastrophe en goulag, ont dégainé le rire comme un pied de nez à la souffrance et à la mort. Quand Gainsbourg grommelle «Qui a coulé le Titanic? Iceberg, encore un juif», il ne fait pas une blague antisémite, non. Il fait une blague juive, dont le propre est d’exorciser le mal par le mal.
Faut-il le préciser? Apparemment, c’est devenu nécessaire. Voyez, sur les réseaux, de bonnes âmes se sont mises en devoir d’expliquer à Coco ce qu’est le consentement et pourquoi le fait d’avoir couché avec sept hommes n’autorise pas les autres à vous sauter dessus. Comme si la dessinatrice était une bécasse à machos, indifférente au passionnant, au salutaire débat actuel autour du viol gris. Mais non. Ce n’est pas la sensibilité face à la question du consentement qui différencie les bonnes âmes de Coco. C’est leur posture de lecture au pied de la lettre.
Fragilité de l’humour. Que voulez-vous répondre à quelqu’un qui vous dit «Ton second degré, ça ne me fait pas rire, c’est juste une excuse pour dire des cochonneries»? Rien, votre gag est mort, ce n’est pas une explication qui le ranimera. Rien, sinon: «Je te souhaite de trouver d’autres armes pour baiser l’absurdité de la vie par tous les bouts. Sans son consentement.»
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