Je suis au courant de l’intérêt souvent souligné de la stabilité du gouvernement fédéral suisse. Nous faisons d’ailleurs assez les malins avec ça, je trouve. Surtout en période de vacances, où pérorer sur une terrasse de France ou de Navarre, expliquant à nos commensaux éberlués qu’il existe un paradis du compromis, nous fait briller à bon compte. Nous moquons alors leurs sociétés du renversement de gouvernement, de la motion de censure, des combats pour une majorité. Pas de ça, en Suisse, donc, ni méfiance ni défiance: ministres nommés à vie, qui s’en vont quand ça leur chante. Cela garantit une gouvernance moins passionnante, mais plus sage, moins passionnelle, mais plus efficace. Ah?
Ah, car j’ai un doute. Par beau temps, il est difficile de contester la vertu du système. Mais lorsque cela se gâte, lenteur et fonctionnement en silo de chaque département deviennent problèmes. On l’a diagnostiqué au plus fort de la crise du Covid: il est devenu évident qu’il fallait un vrai chef, ce fut le ministre de la Santé, Alain Berset, qui s’imposa facilement au milieu de ses si faibles collègues. Il s’en est plutôt bien sorti, ce qui a eu pour conséquence d’invisibiliser longtemps, et d’agacer, les six autres ministres. Puis, banalité de la comédie humaine, est arrivé le temps où tout le monde veut sa peau, à Berset. Pas un jour sans que l’on souligne qu’il est «peut-être sur le départ», «fragilisé» par une révélation stupéfiante (genre: il a une vie sexuelle, il pilote des avions).
Son départ arrangerait vizirette ou vizir se rêvant calife, mais l’épisode démontre d’abord le pathétique fonctionnement du Conseil fédéral repris par les habitudes. Six crises l’une sur l’autre, pourtant: sanitaire parce qu’elle traîne, géopolitique avec la guerre en Ukraine, économique à cause de ses conséquences, énergétique due à l’inconséquence des ministres, écologico-climatique parce que nous sommes très en retard, et politique parce que le Conseil fédéral a emplafonné nos relations avec l’Union européenne. Madame Amherd est empêtrée dans ses avions, Monsieur Parmelin jure qu’il maîtrise, six mois trop tard, un plan urgent pour l’énergie, Monsieur Cassis distribue du Toblerone, Mesdames Keller-Sutter et Sommaruga pensent tellement à l’inverse l’une de l’autre qu’elles s’annulent, Monsieur Maurer n’a pas d’autre occupation prévue, après bientôt quatorze ans au Conseil fédéral. Ils jouent solo, tout sonne faux.
Je suis pour l’invention d’une motion de censure du Conseil fédéral en cas d’inertie cacophonique si désespérément voyante. Ils devraient alors partir les sept d’un coup, solidaires une unique fois dans leur carrière. Sept autres à leurs places auraient pour mission le retour aux fondamentaux: gouverner ensemble.
En vacances, nous devrions faire moins les malins sur les terrasses.
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1000 vies – Sept d’un coup