Les célébrations du tricentenaire de la mort du major Davel débutent. C’est l’occasion de rappeler aux jeunes générations qui fut Jean Daniel Abraham Davel, et ce qu’il a bien pu commettre comme délit pour qu’on en vienne à lui couper la tête. Oui, de quel crime impardonnable l’a-t-on puni?
Dans le manifeste qu’il lit le 23 mars 1723 devant le Conseil municipal de Lausanne, il dénonce l’impéritie de l’administration bernoise du Pays de Vaud, en place depuis 1536. En vrac, les baillis abusent de leur pouvoir, sont d’une probité douteuse, incompétents en matière juridique (Davel est notaire). Par son avidité à revendiquer des redevances élevées, Berne ruine ses sujets des campagnes, affirme-t-il en substance. Et puis les Vaudois capables sont empêchés d’accéder aux charges supérieures, notamment dans l’armée, afin de laisser toute la place aux bourgeois de Berne. Encore un domaine que le major maîtrise, lui qui a servi pour le compte de la Savoie et de l’Angleterre avant de combattre vaillamment aux côtés des Bernois à la deuxième bataille de Villmergen, en 1712. Même en matière d’Église, Leurs Excellences de Berne se voient accusées de détournement de biens.
«Dénonçons-nous suffisamment les injustices, les entorses au droit, les magouilles, soutenons-nous au moins assez ceux qui l’osent?»
De nos jours, lisant cela, ne dirait-on pas que Davel fut le précurseur des lanceurs d’alerte, dénonçant népotisme, corruption, trafic d’influence, abus de biens sociaux et incompétence? Qu’en penseraient Edward Snowden, Julian Assange et Bradley Manning, pour ne citer que les plus connus?
Bon, ces derniers ne sont pas passés par l’épée du bourreau comme le pauvre héros des Vaudois. Du moins pas encore. La Berne du XVIIIe siècle n’était pas une démocratie, et la tête du major en a fait les frais. Il souhaitait, avec humour dans la formule, dirait-on, «décharger» les baillis de la domination de la contrée, et que les Vaudois travaillent eux-mêmes à leur «propre Conduitte» (sic). Ces propos faisaient de lui un séditieux, un hors-la-loi à punir de la plus sévère des manières.
Alors, Vaudois du XXIe siècle, qui nous apprêtons à aller à l’Opéra de Lausanne ou à Cully applaudir un spectacle à sa gloire, à lire un ouvrage à lui consacré, en sommes-nous dignes? Dénonçons-nous suffisamment les injustices, les entorses au droit, les magouilles, soutenons-nous au moins assez ceux qui l’osent? Que cette année de commémoration soit aussi l’occasion de réaliser que cette liberté de choix et de parole dont le major n’aurait même pas osé rêver est un trésor qui, comme l’affirmait Guy Bedos, «ne s’use que si l’on ne s’en sert pas».
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Éditorial – Sommes-nous dignes du major?
Seul, Davel osa dénoncer les abus de pouvoir de son temps.