Festival au Val-de-RuzStanislas Pili compose des images et visualise le son
Aux Jardins Musicaux de Cernier, le jeune percussionniste italien fait œuvre d’alchimiste.

Les Jardins musicaux de Cernier, c’est ce festival décentralisé au Val-de-Ruz (NE), où les musiques de toutes les époques et tous les styles fleurissent simultanément, où l’on peut faire son marché culturel à travers les créations les plus significatives de l’art occidental, de Bach à aujourd’hui, sans oublier le romantisme ou le cinéma muet.
Du 15 au 29 août, ce sont plus d’une trentaine de représentations qui sont prévues, débordant dans l’arc jurassien et jusqu’à Lausanne (lire encadré).
Ce creuset du spectacle vivant et original fondé par Valentin Reymond et Maryse Fuhrmann ne pouvait qu’être inspiré par la proposition du jeune percussionniste Stanislas Pili et son «théâtre alchimique pour solides et liquides».
Sa pièce aurait dû être créée à Cernier l’an dernier, mais l’annulation du festival 2020 a fait capoter le projet, heureusement reprogrammé le 20 août dans la Grange aux concerts. Entre-temps, le musicien franco-sarde a pu présenter son œuvre à trois occasions, à Lausanne en octobre dans la série de la Société de musique contemporaine (SMC) et à Bâle.
Mais elle ne prendra toute sa dimension à mi-chemin de la science et de la magie que dans ce haut lieu d’utopies qu’est la Grange au concert.
Jouer les images
Sorte de savant fou dans son laboratoire, l’auteur et interprète agite ses fioles colorées et ses amplificateurs à infrasons pour faire transmuer les matières et dont il projette les métamorphoses sur écran à l’aide d’une microcaméra: ça crépite, ça chuinte, ça bouillonne et ça fume!
«L’idée de faire un spectacle inspiré de l’alchimie m’est venue à la suite d’un rêve où je voyais fondre un gong thaï en acier noir et le liquide produisait un son, raconte Stanislas Pili. Un collègue m’a suggéré de m’intéresser à Jung et à l’alchimie.»
La traduction visuelle de cette référence prend un aspect assez cocasse: entre deux expériences physico-chimiques, l’interprète présente, à l’aide d’un bon vieux rétroprojecteur, une illustration tirée d’un manuscrit d’alchimie du XVe siècle.
«J’avais envie de donner un aspect intemporel et onirique au spectacle en mélangeant les références. Mon personnage, toujours un peu dans l’ombre et très neutre, a pour but de mettre en avant les objets que je manipule. Je me suis inspiré de l’inexpressivité de Buster Keaton.»
«J’avais envie de donner un aspect intemporel et onirique au spectacle en mélangeant les références.»
De fait, «A guardia di una fede, Opus 2» ne ressemble à rien de ce que l’on attend d’un concert de percussion. Stanislas Pili ne joue quasi aucune note dans ce spectacle qui bouscule la hiérarchie des images et des sons.
«Habituellement, la musique est interprétée pour accompagner des images préexistantes, fait remarquer le musicien. C’est l’inverse ici. C’est ma première création où je «joue» les images en direct plutôt que la musique, même si les aspects visuels sont composés comme une musique et pour leurs aspects sonores.»
Ici, l’essentiel de la bande-son provient de sources préenregistrées d’époques et de styles très variés (de Rossini aux bidouillages électroniques en passant par la chanson populaire italienne), auxquelles s’ajoutent les bruits générés par la manipulation des objets.
De la trompette aux percussions
Le titre de l’œuvre mérite une petite explication, car elle ne tombe pas sous le sens, comme toute allusion alchimique.
Stanislas Pili en décrit la double signification: «A guardia di una fede» - sous la protection d’une foi - est d’abord un slogan utilisé comme un élément de ralliement par les supporters de foot en Italie. Il exprime pour les ultras non seulement leur équipe mais aussi leur ville, leur communauté qui les pousse à chanter comme des fous. La force du chant dans un stade m’a toujours fascinée. Mais on peut l’interpréter comme cette foi qui anime les alchimistes pour se dépasser, pour découvrir la pierre philosophale.»
Stanislas Pili a commencé la musique en jouant de la trompette dans la fanfare de son village de Sardaigne, avant de tomber amoureux de la percussion. D’abord musicien d’orchestre en Italie et en Hollande, cet inventeur farfelu a trouvé sa voie entre théâtre musical et création contemporaine grâce à la formation spécifique dispensée à la HEM de Berne qui combine composition et performance multimédia.
«Je suis arrivé à Berne il y a trois ans, raconte le musicien, et j’ai été immédiatement séduit par la scène musicale suisse, plus riche que dans d’autres pays et qui permet de développer ses propres créations.» Au pays de Carl Gustav Jung, l’alchimie est désormais aussi musicale!
Cernier (NE), Grange aux concerts,Ve 20 août, 19 h.
Matthieu Chenal est journaliste à la rubrique culturelle depuis 1996. Il chronique en particulier l'actualité foisonnante de la musique classique dans le canton de Vaud et en Suisse romande.
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