Série événementielle«Succession», fin de règne
Le clan des Roy aligne les perfidies en quatrième saison et la joue shakespearienne pour tuer le père. Logan est «prêt pour la Nuit des longs couteaux.»

Jesse Armstrong, créateur de «Succession», plaide pour qu’aucun détail ne soit révélé des épisodes de la quatrième et finale saison. Le Britannique insiste tant que sa supplique, comme toutes les manipulations à l’œuvre dans cette machiavélique série, en devient suspecte. Quoi, ce scénariste rusé aurait réservé des coups vicelards pour ce chant du cygne? Expérience faite, «Succession» va passionner pour une lucidité sèche et prévisible dénuée de rocambolesques rebondissements.
«Nous pouvions continuer sur plusieurs saisons, avec des bonnes et des mauvaises semaines. Ou nous pouvions viser un scénario plus musclé et sortir en force.»
Le maître de cet opéra clanique déballait sa stratégie du fond du cœur au «New Yorker»: «Avec mon équipe, nous avons imaginé différents scénarios. Nous pouvions continuer sur plusieurs saisons, quitte à modifier l’ambiance du show, avec des bonnes et des mauvaises semaines. Ou nous pouvions viser un scénario plus musclé, achevé, et sortir en force. Cette dernière option a toujours été ma préférée.»
Rappelez-vous les terribles guérillas menées depuis 2018, jusqu’à ce final dans le cadre bucolique d’un riche mariage toscan. Dans «Game of Thrones», l’épisode des «Noces pourpres» restera mythique pour son banquet dégoulinant d’hémoglobine. Dans «Succession», sans que le sang coule, le clan des Roy s’entrelardait avec une cruauté égale dans la tiédeur matelassée des soieries et des dollars.
Trahison d’une mère, répudiation d’un père, vengeance consanguine… ce type de série dynastique en appelle souvent à Shakespeare à grands élans tragiques. Du monarchique «The Crown» au républicain «Yellowstone», les sagas familiales fonctionnent sur des transgressions éternelles. Jesse Armstrong y ajoute un style, qui consiste à glisser du Bien au Mal par pur opportunisme dramaturgique. Cette amoralité se matérialise dans une caméra baladeuse qui sautille sur les visages, attrape une expression honteuse, guette les calculs.
Dans cette fiction inspirée de la réalité, le cynisme garantit le contrat passé avec des milliardaires dont le job est de divertir. Une ironie paradoxale, à la fois constructive et autodestructrice, plane dans les couloirs de ces empires de l’audiovisuel calqués sur le modèle du magnat Rupert Murdoch. De quoi faire et défaire les alliances. Sans déflorer ce dernier acte, toutes les cartes seront rebattues plus d’une fois, crescendo jusqu’au tiers, tapis et rebelote.
La libido du vieux lion
Jusqu’ici, les enfants se dézinguaient les uns les autres pour gérer l’héritage. La résistance de leur père les force à former une coalition. Face à la libido retrouvée du vieux lion, la fratrie doit s’entendre. Rien que ça, c’est tout bénéfice, commenteraient les actionnaires. D’autant que le tragédien écossais Brian Cox vous sert ses vengeances avec des sourires sadiques en coin du plus bel effet.

Et regardez qui encaisse. Personne n’a oublié Kendall, le fils ingrat interprété par Jeremy Strong qui s’accroche au bout du caniveau en aîné torturé par la drogue du pouvoir et la poudre tout court. Ou Roman, le cadet joli cœur étourdi par ses appétits volages – pour l’anecdote, distribuer Kieran Culkin, le frère de l’acteur qui jadis incarna l’angelot blond de «Maman, j’ai raté l’avion», dans le rôle du petit diable pervers relève du pur génie.
Mais il y a encore Shiv, la petite sœur vorace d’amour et de dollars, l’éternelle larguée sur le carreau du sexisme entre autres défaveurs. L’actrice Sarah Snook l’investit à mort, alternant la vamp carnassière ou la gamine boulotte blessée réussit des variations subjugantes sur le thème du féminisme, du capitalisme et même parfois des deux ensemble.
Dans ce théâtre manichéen rôdent encore les seconds couteaux, le frangin idéaliste qui se rêve en président de la république. Son caractère falot en dit long sur la considération des banquiers pour le pouvoir politique – «Anecdotique!» tonitrue Logan Roy. Ou les pantins agités par la cupidité et la jalousie, cousin niais, mari cocufié, etc. Jesse Armstrong peut se rassurer, aucune révélation ici, toutes ces pantalonnades tordues battaient déjà la scène des saisons précédentes. Comme promis, histoire de désinfecter les cadavres, «Succession» gratte à l’os les blessures purulentes, exhibe les sales secrets, crache les venins toxiques. Pour l’avoir vérifié sur pièces, là, ça craint.
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