Sorties cinéma«Tár», «Divertimento», «Corsage»: quels films aller voir cette semaine?
La formidable actrice australienne orchestre «Tár». Dur pour les autres films de se faire entendre.
«Tár», comme un seul homme

Sanglée dans le smoking d’une prestigieuse cheffe d’orchestre, la comédienne Cate Blanchett bouscule et cogne les conventions. Pourtant, plus qu’un combat contre le sexisme, ce faux biopic d’une géniale musicienne, Lydia Tár, lève le voile sur une créatrice au crépuscule des dieux, s’approchant de l’indicible et flirtant avec les cimes.
Car le film de Todd Field s’éloigne de la partition classique au cinéma de l’artiste qui, malgré l’évidence d’un talent hors des normes, doit vaincre le machisme et autres conventions séculaires pour être entendu. Une situation qui s’améliore un peu: une étude, menée en mars 2022 sur 778 orchestres dans le monde, recensait 62 femmes titulaires du poste de cheffe principale, soit 7,9%, proportion en hausse de 2% par rapport à 2020. La Suisse se classe 10e avec 10%, loin derrière la Belgique et ses 37,9%, mais au niveau des États-Unis, France, Finlande, Suède.
Et si la cheffe Marin Aslop s’est indignée, se reconnaissant dans ce personnage de Lydia, le film de Todd Field ambitionne un autre débat et se délecte d’abord du spectacle d’un monstre sacré – en cela, l’exercice rappelle «Le jardin de Celibidache», réalisé par le fils du maestro en 1997, qui, entre gourou, despote et patriarche, s’aventurait dans l’intimité du génie. Ici, sous l’élégance d’un teint diaphane, l’irascible patronne de l’Orchestre philharmonique de Berlin se repaît à balancer des brouettes de vacheries à ses étudiants, à cadrer comme un seul homme ses troupes vers la conquête.
Investie d’une mission divine, la surdouée à l’oreille absolue, qui vous tartine une symphonie de Mahler comme une biscotte au petit-déjeuner, croque les impudents fans d’arguments à la mode, wokisme, etc. Ne lui parlez pas de Bach, si goujat avec les mères de ses nombreux enfants. Selon Lydia Tár, de fugues en cantates, le compositeur s’est acheté un ticket pour le paradis. Jean-Sébastien, que sa joie demeure! Rien ne lui résistera jusqu’à la dégringolade engendrée par ses propres fausses notes, de sa propension au favoritisme à sa cruauté en société.
Note: ***
«Divertimento», une autre cheffe, un autre tempo

Coïncidence des affiches ou phénomène dans l’air du temps? La réalisatrice française Marie-Castille Mention-Schaar suit aussi une cheffe d’orchestre qui s’élève à la force de sa passion au-dessus du chœur des a priori. Au contraire de la fiction ourdie dans «Tár», «Divertimento» documente l’authentique Zahia Ziouani, 44 ans.
Née de parents algériens à Pantin, avec sa sœur jumelle, cette mélomane née va infiltrer le microcosme codifié des musiciens classiques. Bataillant contre les préjugés de caste, de genre, de milieu, l’obstinée dirige la chorale de son école à 8 ans, fondera son propre orchestre symphonique à 20. L’immense chef Celibidache la formera.
La mise en scène table sur l’énergie de la bande-son pour transcrire cette lutte en accents lyriques. L’effet s’avère malin mais n’évite pas des longueurs. Autre bémol, les clichés surgissent quand le récit se heurte au clash entre la bourgeoisie de Neuilly et le prolétariat de la Seine-Saint-Denis. Ainsi du directeur refusant de mêler pauvres et nantis dans l’orchestre de son école et autres brimades ordinaires.
Dommage pour une héroïne qui, de son propre aveu, ne s’est jamais arrêtée à ces accidents fâcheux, défiant un monstre plus puissant que le racisme ordinaire, la musique. Au final, un film chaleureux, battant la cadences des bons sentiments alors que la vraie Zahia démontre dans sa quête d’absolu un panache plus singulier.
Note: **
«Le film de mon père», famille, je vous aime etc.

À sa demande, pour lui prouver qu’il a l’étoffe d’un cinéaste et de la suite dans les idées, Jules Guarneri filme son père. Le réalisateur ne manquera pas de donner quelques coups de canif dans ce contrat, signant à la fois un acte d’indépendance et une lettre d’amour. Problèmes de riches?
A priori, ces bourgeois nichés en altitude à Villars dans plusieurs chalets émargent aux contingences humaines des plaines. Le père rentier n’a jamais travaillé, ressemble, dixit le fiston, «au colonel Kurtz d’«Apocalypse Now». C’est chic au niveau cinématographique, mais exagéré au quotidien.
Par contre, le fantôme qui hante le clan sort tout droit des couloirs de «Shining». Christabel, la mère disparue trop tôt, apparaît partout, sur les murs, les étagères, absence immanente cadrée en madone nue qui se matérialise avec une obstination mystérieuse. Humour noir et tendresse bluesy se mêlent alors dans une «home video» aussi attachante que troublante.
Note: ***
«Pattie et la colère de Poséidon», C.Q.F.D.

Depuis 2000, les Toulousains David Alaux, Eric et Jean-François Tosti bossent en artisans autodidactes dans l’animation, remarqués notamment pour la franchise «Les as de la jungle». Et s’ils défient les dieux de l’Olympe avec «Pattie et la colère de Poséidon», leurs studios démontrent n’avoir pas trop à envier aux productions hollywoodiennes.
Hommage aux films de Ray Harryhausen – «Jason et les Argonautes», «Le choc des Titans» et autre «Septième voyage de Sinbad» –, cette odyssée suit un souriceau qui décide de sauver Yolcos, sa ville natale, des foudres du dieu de la mer. Il suffira de lire les vieux papyrus de la bibliothèque locale pour trouver une stratégie.
Veillé par le vieux Jason qui en a vu d’autres, Pattie le petit rongeur est flanqué de Sam, un gros chat pépère et végane. De quoi se métamorphoser en héros et affronter les monstres, bébé kraken, scorpions géants et cyclopes en tout genre. Mimi tout plein sur le fond et sur la forme.
Note: ***
«Corsage», un mythe revu et corrigé

Rien à voir avec la Sissi que le cinéma avait jadis représentée sous les traits d’une Romy Schneider qui mettra des années à se défaire de cette image. Ici, l’impératrice d’Autriche, consciente de son vieillissement, entreprend un voyage afin de retrouver quelques personnes qui ont influencé sa vie. Le biopic de Marie Kreutzer se voit ainsi réduit à quelques éléments épars de la vie d’Elisabeth.
Avouons-le, le film démarre très mal. Avec un plan au ralenti qu’il aurait fallu couper et qui se trouve totalement hors sujet. Heureusement, le procédé ne dure pas et la séquence ne se répète jamais, aboutissant en lieu et place de cela à un film tenu, bien joué, et surtout fort bien conduit par une Vicky Krieps qu’on se réjouit de retrouver dans un premier rôle.
Le portrait est résolument atypique, à des lieues des conventions. Elisabeth d’Autriche y apparaît comme une femme névrosée, capricieuse, souvent insupportable. La réalisation ne fait rien pour arrondir le personnage, ce qui est un point positif. Notons que, depuis quelques jours, le film est terni par les accusations de possession de matériel pédopornographique envers l’un de ses acteurs, Florian Teichtmeister.
Note: **
«Neneh superstar», schématisme facile

Pour intégrer le ballet de l’Opéra de Paris, il vaut mieux être blanche de bonne famille. La thématique et le cadre sont posés dès les premières minutes. Sauf que Ramzi Ben Sliman tombe dans les travers de ce qu’il prétend dénoncer en nous montrant une jeune héroïne ni meilleure ni pire qu’une autre, mais qui devrait accéder à un grand rôle (celui de Blanche-Neige, on n’invente rien) parce qu’elle est Noire.
Ce schématisme est un peu facile, d’autant plus que la jeune Oumy Bruni Garrel (fille adoptive de Valeria Bruni Tedeschi et Louis Garrel ainsi que nièce de Carla Bruni) ne convainc pas, plus tête à claques qu’attachante. Face à elle, en méchante directrice, on retrouve une Maïwenn qui semble prendre plaisir à la cruauté. C’est le meilleur choix de ce «Neneh superstar» dispensable.
Note: *
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