Roman graphiqueTransformer la douleur en beauté
À travers «Un souffle à l’aube», la Genevoise Sarah Najjar évoque avec délicatesse le deuil et l’insomnie. Parfum de vécu?

Ses journées s’écoulent à toute vitesse, mais ses nuits sont interminables. Pendulaire, Alma transite entre Genève, Lausanne et Berne. Boulot, métro, sans dodo. Au bureau, cette jeune femme s’ennuie ferme. Impression de s’éteindre chaque jour un peu plus. De passer lentement à côté de sa vie. Le soir venu, l’angoisse de l’insomnie la guette. Elle se glisse dans les draps vers 22 h, tourne et se retourne jusqu’au petit matin, avant de sombrer dans l’épuisement. Tandis que des valises s’alourdissent sous ses yeux, elle se décide à consulter. Un médecin lui diagnostique une dépression. Il faut dire qu’Alma vient de perdre une amie proche, qui s’est donné la mort…

Imaginée et dessinée par Sarah Najjar, l’histoire d’Alma dégage un délicat parfum de vécu. Premier roman graphique de la trentenaire genevoise remarquée en 2020 avec l’album «Confessions confinées», «Un souffle à l’aube» décrit-il les sentiments de son auteure? «En partie seulement», assure l’intéressée en sirotant un thé à la menthe dans un établissement carougeois. «Le personnage, le contexte familial et certaines scènes décrites ne correspondent pas du tout à ma vie. En revanche, j’ai vraiment pendulé pendant plusieurs années, et souffert d’insomnies après le suicide d’une amie.»
Comme un zombie
Consécutivement à cette disparition tragique, Sarah Najjar n’a plus fermé l’œil pendant des mois. Plus exactement, et comme l’héroïne de son livre, elle finit par s’endormir, éreintée peu de temps avant que son réveil ne sonne. «Plus moyen de me reposer, je me sentais comme remplie d’électricité. À la longue, je suis devenue une sorte de zombie.»

Pour s’en sortir, la Genevoise essaie les tisanes apaisantes, les bains chauds avant d’aller au lit. Elle renonce au café. En vain. Pendant deux semaines - nouveau point de convergence avec son héroïne - elle se résout à avaler des somnifères. Mais le sommeil artificiel ne lui convient pas. Des massages ainsi que des séances de yoga et de méditation de pleine conscience provoquent un déclic. Sarah parvient enfin à s’assoupir.
«Le décès de mon amie m’a fait prendre conscience que l’art était très important pour moi.»
Après dix années sans avoir touché un crayon, elle reprend alors l’illustration: «Le décès de mon amie m’a fait prendre conscience que l’art était très important pour moi. J’ai quitté un poste qui ne faisait plus de sens pour moi et je me suis remise au dessin». Elle qui, pour son travail de maturité en 2005, avait réalisé un ouvrage illustré, n’a pas abandonné le projet de raconter en images. «J’adore les dessins de Quentin Blake dans les livres de Roald Dahl, c’était typiquement ce que je voulais faire.»

En filigrane, «Un souffle à l’aube» raconte cette renaissance. Écrit d’une plume fine qui n’exclut pas l’humour - pour avoir ressenti les mêmes sensations qu’elle, on sourit quand elle décrit son premier cours de yoga vinyasa - ce petit pavé de plus de 200 pages l’a-t-il aidée à passer un cap? «Le livre a été conçu après avoir résolu mes problèmes. J’avais envie de transformer la douleur en beauté, de partager quelques outils et réflexions qui m’ont été utiles.»
Pas de cases dans ce roman graphique composé de 647 dessins, mais qui en a nécessité plus d’un millier au total. «J’aime que mon trait soit libre», plaide Sarah Najjar, qui a songé à Aude Picault dans sa manière d’imager un propos. «Je suis consciente que cela ne correspond pas aux standards de la BD. Mais cela peut attirer d’autres publics.»

Au cours de ce voyage initiatique au plus profond de soi, le lecteur appréciera la noirceur tranchante de l’encre de Chine, qui contraste avec de beaux passages à l’aquarelle. «Le noir et blanc reflète la réalité brute d’un quotidien monotone. La couleur survient quand Alma se connecte avec ses émotions.» Émotions: peut-être le mot-clé qu’il faut retenir. «Quand on s’y raccroche, c’est plus facile de réaliser des dessins touchants.» Ceux de Sarah Najjar le sont, assurément.

«Un souffle à l’aube», par Sarah Najjar. Ed. Slatkine, 224 p.
En dédicace le 4 juin, librairie Librerit, Carouge (12 h-14 h)
Exposition de scènes inédites du livre, Bibliothèque de Carouge jusqu’au 12 juin.
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