Trois artisans ont conquis leur savoir-faire en changeant de vie
À l'occasion des Journées européennes des métiers d'art, les portes de 40 ateliers du canton s'ouvrent au public. Rencontre avec trois anciens universitaires qui se sont reconvertis sur le tard.
Les métiers d'art éveillent la curiosité et les vocations. «Ils fascinent même, ajoute Thierry Hogan, coordinateur vaudois des Journées européennes des métiers d'art. Leur image poussiéreuse est totalement dépassée». Il avance pour preuve les chiffres croissants de fréquentation de la manifestation organisée dans le canton depuis 2014. «La première année, nous avions 26 ateliers et 2800 visiteurs. En 2018, avec 48 ateliers, nous attendons 6700 visiteurs.»
Si le savoir-faire continue à se transmettre d'une génération à l'autre dans certains métiers, il peut aussi s'acquérir sur le tard dans le cadre d'un changement de vie ou d'une simple reconversion. À l'image de ces trois universitaires de formation qui ont un jour tourné le dos à leur carrière toute tracée pour devenir leur propre patron et se consacrer entièrement à leur passion.
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Anne Londez, ancienne chimiste, dompte la flamme pour travailler le verre en trois dimensions

Dernière son chalumeau dans son atelier-boutique situé à la rue de la Barre à Lausanne, Anne Londez, 48 ans, explique les différentes étapes de son travail avec aisance, pédagogie et une passion tout intérieure qui se libère une fois qu'elle pose ses outils pour évoquer sa deuxième carrière, celle de verrière d'art. Dans une vie précédente, la Parisienne d'origine était docteur en chimie, spécialisée dans la recherche pour l'industrie pharmaceutique. «Personne ne comprenait un mot de mon titre de thèse», plaisante Anne Londez qui quitte la capitale française pour Genève afin d'achever son cursus académique. Pour contrebalancer le «côté intello» de ses études, elle se détend avec des activités manuelles, telles que peinture, couture ou tricot. Sans imaginer un jour que ses mains deviendraient son nouvel outil de création. Au moment d'entrer dans le monde professionnel, la chimiste trouve un job dans le centre de recherche d'une multinationale vaudoise, dans le secteur des arômes de café. Son tempérament bien trempé est apprécié dans ce milieu compétitif. Mais la pression, le manque de liberté et un désaccord avec l'éthique de l'entreprise ont raison de sa motivation et de sa santé. En burnout, elle s'inscrit dans les clubs de loisirs de sa boîte dont l'un est consacré au verre. Et là, au hasard d'un cours, elle découvre la technique du chalumeau, encore peu développée en Suisse en 2002. Une révélation. «C'est un travail très méticuleux, tout le contraire de ma personnalité qui aime que ça aille vite.»

Dans sa cuisine, l'artiste en devenir fait ses premiers essais avec un petit chalumeau destiné à caraméliser les crèmes brûlées, des baguettes en verre et un livre d'initiation. «Je suis limitée par la taille de la flamme. Comme elle est petite, je fabrique principalement des perles.».
Quand sonne l'heure de la reconversion – «je ne me voyais plus travailler pour l'industrie» – elle hésite entre le coaching en communication et sa nouvelle passion. «J'avais 34 ans et pas de charge familiale. J'ai ressenti le besoin d'une coupure totale avec le monde de l'entreprise.» Toute son attention se concentre alors sur cette technique, se formant aux États-Unis où elle est déjà en vogue. «Travailler avec le feu est simplement fascinant. Hypnotisant. Le verre est difficile à maîtriser. On peut y consacrer une vie. C'est aussi difficile que d'apprendre le violon. À force de patience, on progresse lentement, on répète les gestes et l'on voit l'évolution. J'ai découvert la patience», rigole-t-elle.
Derrière ses grosses lunettes de protection, l'artisane fait fondre sa baguette de verre autour d'un support pour lui donner sa forme ronde. La flamme orange transforme la matière en quelques instants. Les gestes sont précis. Un peu trop de chaleur et la pièce risque de se briser. La magie opère vraiment quand l'artiste façonne le verre en trois dimensions, ajoutant des motifs et des effets de perspective. Voilà déjà 15 ans qu'Anne Londez s'épanouit dans ce nouvel art qu'elle transmet dans des ateliers de formation. «Ce qui m'intéresse fondamentalement, c'est le verre, et non le résultat final. Le bijou en est la conséquence et c'est le moyen de vendre ma production.»
Ses créations s'écoulent en Suisse sous forme de boucles d'oreilles ou de pendentifs tandis qu'elles partent comme pièces d'art sur le marché américain, prêt à mettre beaucoup d'argent pour une seule perle. De son ancienne vie de scientifique, elle garde une manière très structurée de transmettre sa passion, nourrie par cette solide volonté d'apprendre encore et toujours à dompter la flamme.
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Damien Ythier a délaissé l'étude des cellules pour sculpter des essences et façonner des pièces uniques

Avec deux parents médecins, la carrière professionnelle de Damien Ythier était toute tracée. Enfin presque. Son doctorat en biologie moléculaire en poche, le Franco-Suisse installé à Cronay avec sa femme et ses deux enfants cultive depuis gamin la fibre de la construction, de la technique et du modélisme. Il rêve, à certaines étapes de sa vie, de devenir ébéniste car «le bois est beau, aucune planche ne se ressemble».
Mais le père de famille de 39 ans poursuit la voie de la raison et une carrière de chercheur à l'Université de Lausanne. Un milieu où Damien Ythier se sent progressivement déçu, la politique prenant, dit-il, le dessus sur la science. «Je l'ai vu comme un signe. J'avais soudain besoin de travailler avec mes mains. Être son propre patron a un prix. Quand je m'engage dans quelque chose, je ne lâche rien», dit-il en pointant fièrement les grandes planches de noyer, orme ou cerisier, accumulées dans son atelier de Pomy. «Sans clientèle, on m'a dit qu'il ne fallait pas stocker beaucoup de bois au début. Mais un ébéniste sans bois n'en est pas un! J'ai fait tout le contraire. Je ne veux pas partir dans la même direction que les autres», reconnaît-il. Depuis trois ans, chaque matin, celui qui se lève aux aurores piétine d'impatience avant de pouvoir allumer ses machines et travailler la matière. Il s'est spécialisé dans le sur-mesure haut de gamme.

«Je vais voir l'intérieur des maisons de mes clients et je cherche au-delà de la fonctionnalité.» Fou de sport, du snowboard au kitesurf, il marie souvent la résine, matériau de base de ces planches de glisse, à ses créations. À l'image de sa dernière œuvre, un plateau d'orme au milieu duquel il a incorporé de la résine époxy mélangée à des pigments bleus et blancs. Plus d'une centaine d'heures de travail pour arriver au résultat qu'il souhaitait. «Aux États-Unis, les «river tables» (table où la résine coulée dans le bois prend la forme d'une rivière) sont très à la mode», explique celui qui a toujours soif d'inspiration. «Je suis un vrai autodidacte. S'il n'existe aucun lien direct entre le bois et la biologie, j'applique quotidiennement ma démarche de chercheur à mon travail.» Il se voit artisan et non entrepreneur car il ne développe pas un processus «pour optimiser les coûts et produire de manière industrielle». «Chaque pièce est unique. Chaque fois, c'est nouveau. Il m'arrive de garder un projet en attente pendant un an jusqu'à ce que je trouve la bonne idée», s'enthousiasme-t-il. Si sa reconversion en fait rêver plus d'un, l'ébéniste raconte volontiers l'envers du décor, qui implique quelques sacrifices financiers. «Il faut être prêt à travailler sans gagner un salaire pendant quelques années. Je réinvestis encore tout ce que je gagne. Tant que je vois que ma démarche progresse, je continue», explique celui qui admet avoir de la chance de pouvoir tourner avec le salaire de son épouse.
La fibre du bois – le nom qu'il a donné à sa petite entreprise – résume son état d'esprit. «Je l'ai en moi, viscérale», sourit-il.
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Cecilia Roger a cultivé le vin, la minutie des écritures latines et, aujourd'hui, l'art délicat de la broderie

«Je suis passionnée par ce qui est petit, que ce soit les anciennes écritures ou la broderie. La minutie m'a toujours attirée», explique Cecilia Roger, 58 ans, dans son atelier – un charmant petit chalet en bois – baigné de lumière, à l'entrée du village de Château-d'Œx. La Milanaise s'est installée dans la région avec son mari il y a dix ans, sous le charme «d'une vallée où l'on peut facilement y vivre toute l'année». Le village vaudois est aussi le cœur névralgique de sa troisième carrière, démarrée à 50 ans. Docteur en paléographie – l'étude du latin du Moyen Âge –, l'Italienne rêve d'une carrière académique mais les places sont rares. Elle brode depuis ses 5 ans, toujours pour le plaisir. Après avoir gagné sa vie dans une maison d'édition, son père, entrepreneur, lui demande de reprendre la gestion d'un vignoble familial dans le Piémont. Vingt ans s'écoulent dans cet univers où elle apprend sur le tas tout en élevant sa fille. Mais celle qui apprécie les «petites structures» ne se reconnaît plus dans une entreprise qui croît sans cesse, passant de 6 à 20 hectares.
Au détour d'une rencontre orchestrée par son mari français, Cecilia Roger fait la connaissance de François Lasage, fondateur de l'un des plus prestigieuses écoles de broderies d'art où se forment tous les artisans de la haute couture et du luxe. Elle décide de suivre le cursus, approfondissant ses recherches – «une chose que j'ai appris à faire avec mes études et dans laquelle je suis douée» – sur l'histoire et les différentes techniques de broderie et tissage. Tout en évoquant son parcours coloré de son accent chantant, elle sort d'une petite boîte en bois l'un de ses instruments qu'elle utilise quotidiennement: un crochet de Lunéville qui permet d'appliquer perles, paillettes ou encore fil de soie avec une finesse et une précision quasi chirurgicale. Aux murs de son atelier, un tableau réunit à lui seul toutes les spécialités utilisées en haute couture. Plusieurs semaines de travail. «La broderie est physiquement très fatigante. On doit rester assis concentré plus de huit heures par jour. Heureusement j'ai encore de très bons yeux.» Lorsqu'elle se met à son compte, elle continue d'apprendre, en suivant avec sa fille des workshops à l'École Saint-Martin-de-Londres, référence artistique par excellence. «Pour se donner un coup de fouet». Aujourd'hui, elle a lancé, entre autres, une collection de sacs brodés.

«Dès que je me suis installée à Château-d'Œx, la nature environnante a déclenché ma créativité. Une brodeuse, à la base, est une exécutante. Longtemps je n'étais pas inspirée mais aujourd'hui, c'est différent». Pour cette chercheuse née, qui retourne régulièrement se replonger dans le pouls de sa ville d'origine, l'apprentissage a encore repris ses droits lorsqu'elle est tombée amoureuse de la broderie japonaise. Un art où il a fallu tout reprendre à zéro tant l'approche est différente. Formée à Atlanta, aux États-Unis, puis au Japon – les Occidentaux ne peuvent y suivre un cours que sur invitation – elle est aujourd'hui certifiée et prépare sa quatrième vie: ouvrir sa propre école. Et pour ne jamais oublier sa philosophie de l'artisanat, elle a fait écrire sur une grande affiche installée au cœur de son atelier cette phrase qu'elle aime répéter: «Les mains sont l'expression de l'esprit».
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