Chasse à vuesTrois expos photo à ne pas rater dans le canton de Vaud
Les propositions photographiques ne manquent pas, que ce soit avec Aurélien Fontanet à Nyon, Thomas Annaheim Lambert à Lausanne ou le Prix Pictet à l’EPFL. Visites intime, amazonienne et incendiaire.

La récente inauguration du nouveau bâtiment de Plateforme 10 a rappelé à ceux qui l’avaient peut-être oublié que le canton pouvait compter sur un haut lieu de la photographie avec Photo Élysée. Mais la discipline visuelle ne manque pas de débouchés… qu’il faut parfois savoir trouver.
Nichées dans un atelier photo, au cœur d’un campus ou dans une galerie historique, trois propositions photographiques originales, excitantes et toutes gratuites vous attendent pour rompre avec les habitudes.
«Une odyssée ordinaire»: Thomas Annaheim Lambert et Rose-Marie Matter Lambert à Strates
Quand la grand-mère de Thomas Annaheim Lambert décède, en 2018, elle laisse un corpus de 35’000 images numériques dûment classées sur des clés, des disques durs, et qui témoignent d’une pratique quotidienne assidue de la prise de vue.
Dans sa jeunesse, Rose-Marie Matter Lambert avait manifesté le désir de devenir photographe, mais sa vie familiale en avait voulu autrement. En éditant la somme visuelle qu’elle avait constituée en solitaire, son petit-fils a cherché à lui donner une visibilité qu’elle n’a jamais eue de son vivant avec ses clichés souvent banals, parfois incongrus, mais qu’elle n’hésitait pas à retoucher avec Photoshop.
La démarche va pourtant plus loin qu’un hommage à une aïeule aimée et disparue. Elle manifeste l’usage vernaculaire de la photographie, de loin le plus massif aujourd’hui, tout en soulignant une approche qui n’est pas celle des réseaux sociaux, malgré l’aspect très intime de ces images qui témoignent volontiers des menus domestiques, figés en gros plan sur leur assiette.
Dans le même temps, un caractère insolite se dégage de l’ensemble. En ce sens, la remise en perspective de Thomas Annaheim Lambert se place au cœur des débats actuels sur la post-photographie – d’un Joan Fontcuberta, par exemple – autant par l’effacement de la prétention auteuriste que par la forme de recyclage que prend ce travail de réinterprétation.
À voir à la galerie Strates à Lausanne, son exposition «Une odyssée ordinaire» témoigne de ces dimensions, d’abord par les deux piles de 20’000 clichés imprimés qui disent la prolifération contemporaine, ensuite par le format choisi pour les images portées au mur: en puzzle, activité qu’affectionnait Rose-Marie Matter et qu’elle documentait évidemment par la photographie une fois ses œuvres achevées.
Lausanne, Strates, rue de la Borde 12. Jusqu’au 28 juillet. Ouvert les mercredis, 15 h-17 h. www.strates.ch
«Aldeias»: Aurélien Fontanet à Focale
«Mon souci est que ce qui est perçu de ce travail ne soit pas seulement une émotion mais aussi une réflexion qui rejoigne mon engagement.» Cette phrase qu’Aurélien Fontanet met en exergue de son travail autour de la communauté Xikrin, dans l’État du Pará au Brésil, situe assez bien la tension que le photographe genevois développe dans son exposition «Aldeias», présentée à la galerie Focale à Nyon.
Sans dramatisation mais avec une touche humaniste qui fait honneur à son art du reportage, Aurélien Fontanet éclaire la situation de ces Indiens d’Amazonie dont le territoire vital a été envahi, à partir de 1986, et cela en dépit d’un statut de terre indigène homologué en 1991, par une importante activité industrielle sidérurgique et minière. La pollution générée par les activités extractives met évidemment en danger la biodiversité de ces zones où s’est repliée cette communauté, qui reçoit – triste consolation – des indemnités pour les dommages occasionnés…
De nombreuses images de l’exposition «Aldeias» font contraster un environnement exhaussé par des couleurs tropicales avec une forme de désœuvrement étrange de villageois munis de téléviseurs géants. La scénographie très efficace d’Aurélien Garzarolli fait se disposer les photographies sur des visuels muraux où se déploient des vues aériennes de paysages dévastés ou dénudés par l’activité industrielle.
C’est en rencontrant l’ethnologue René Fuerst, ancien conservateur au Musée d’ethnographie de Genève qui avait conseillé les tribus dans sa jeunesse, qu’Aurélien Fontanet a pris conscience d’une problématique où il s’est désormais engagé avec fermeté, comme le montrent ses images aux beautés et aux douleurs entrelacées.
Nyon, Galerie Focale, jusqu’au 28 août. www.focale.ch
«Fire», le Prix Pictet à EPFL Pavilions
L’actualité brûlante de la photographie se niche au cœur du campus de l’EPFL, dans un Pavillon B pourtant bien climatisé. L’exposition «Fire» résulte du Prix Pictet, une récompense photographique – attribuée en décembre dernier – soucieuse de durabilité et d’écologie.
La lauréate, Sally Mann, n’est pas vraiment une inconnue. Les images de ses propres enfants nus, qui ont pu autrefois créer la controverse, n’ont rien à voir avec l’incendie pour lequel l’Américaine a été primée: sa série «Blackwater» (2008-2012) épouse les noirs charbonneux du Great Dismal Swamp de Virginie et de Caroline du Nord qui, tout marécageux fût-il, a connu de grands feux entre 2008 et 2011.
L’artiste voit un parallèle entre cette destruction récente et le passé, le lieu ayant vu passer de nombreux esclaves noirs fuyant leur condition. Les images, hantées et crépusculaires, fascinent un moment mais il faut se reporter au texte pour saisir la volonté de leur auteur.
Du côté des photographes sélectionnés dans la shortlist (12 projets), le thème du feu est souvent traité avec plus d’aplomb, plus de frontalité aussi, mais aussi avec une très grande variété d’approches. Les vieilles cartes postales du Liban auxquelles Joana Hadkithomas et Khalil Joreige mettent le feu se retrouvent écartelées entre nostalgie bon enfant et attentats contemporains.
Les collages pop et hurleurs de Christian Marclay ne nous sont pas donnés dans leur version animée, mais les deux exemplaires exposés mettent le feu aux poudres. Les jeux pyrotechniques auxquels s’adonnent les Japonais permettent à Rinko Kawauchi des joliesses ambiguës, entre célébration et inconscience. Les portraits de David Uzochukwu se brûlent aux questions raciales, entre malaise et sensualité. Les mises en scènes de Fabrice Monteiro donnent dans le fantasque pendant que les images chirurgicales de grands brûlés indiens de Brent Stirton font… froid dans le dos. Une très belle brochette visuelle à mettre sur le gril de vos yeux.
Lausanne, EPFL Pavilions, Place Cosandey. Tél. 021 693 65 01. www.epfl-pavilions.ch
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