«Si je m’en sors, je traverse la France à pied.» C’est la promesse que se fit l’écrivain-voyageur Sylvain Tesson sur son lit d’hôpital après une chute de huit mètres l’ayant fait «tomber sur un tas d’os». À peu près remis, il tracera sa route à pied sur la «diagonale du vide», cette France de l’hyperruralité que les technocrates désignent comme une terre de conquête pour les transports publics, les zones pavillonnaires et la 5G.
«Les Lausannois savent-ils qu’il leur est possible d’aller de Moudon au Château cantonal sans quitter le couvert des arbres?»
Son périple dans cette France oubliée l’emmènera de Nice au Cotentin. En 2016 il en publiera le récit sous le titre «Les chemins noirs». S’il ne fallait en retenir qu’une phrase: «Certains hommes espéraient entrer dans l’histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître dans la géographie.» «Les chemins noirs» est le récit d’une fuite qui finit en retrouvailles. La fuite de la modernité, de ses chaînes technologiques et rationnelles, pour retrouver ce vieux pays qu’est la France, derrière les clochers de ses abbayes, les murets de ses pâturages et les berges de ses gardons.
Une adaptation au cinéma de ce texte court et lumineux est actuellement sur les écrans vaudois. Jean Dujardin campe le marcheur, aussi solitaire à l’écran que sur les sentiers. Hypnotisé, on redécouvre combien la France est belle.
Ce film ne relate pas qu’une randonnée. Chaque long trajet à pied, les pèlerins vous le diront, est d’abord un voyage intérieur. Le rythme de la marche s’harmonise à celui de la respiration. La pensée vagabonde en rebondissant sur le paysage ou les mots d’un compagnon. La marche offre un cadre propice à la discussion et donc à la réflexion.
Un pouls bien vivant
Sortant du cinéma vendredi soir, nous nous demandâmes avec un ami quels chemins noirs le Pays de Vaud nous offrirait à son tour. Imitant Tesson, il suffit d’étaler devant soi une carte du canton pour en découvrir. Les Lausannois savent-ils qu’il leur est possible d’aller de Moudon au Château cantonal sans quitter le couvert des arbres? Aux Diablerets, à l’ombre du Culan, est blotti le vallon d’Orgevaux. Qui le traverse un matin d’été croira fouler une contrée inconnue, une vallée secrète abritant des rescapés des âges préhistoriques. Dans le Jura, entre le Suchet et les Aiguilles-de-Baulmes, s’étend une vaste combe parsemée de fortins et d’étables. On la prolongera en longeant la frontière. Couvertes de mousse, certaines de ses bornes sont encore flanquées de l’Ours de Berne et du Lys des rois de France. On est loin des infographies du Plan directeur cantonal.
Emprunter ces sentiers permet d’approcher le pays à un autre rythme que celui des autoroutes et de tous les «RER vaudois». À travers nos semelles fatiguées, nous percevons du canton un pouls différent que celui qui émane des réseaux sociaux et des frénésies mondaines. Une pulsation plus lente et moins forte, mais plus durable et vraiment vivante.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
L’invité – Trouvons nos propres «Chemins noirs»
L’invitation au voyage sur les sentes vaudoises de Félicien Monnier.