Tout va bienUltramodernes bénitiers
Ça a fini par arriver. Un moment de distraction, et le geste m’a échappé. C’était l’autre jour, à l’entrée du supermarché. L’officiant aux mesures d’hygiène attendait, spray brandi à hauteur de regard bienveillant, que je lui présente mes mains nues pour la rituelle aspersion chasseuse de germes maléfiques. En cliente fidèle, je me suis exécutée. Puis, en m’avançant dans l’allée en direction de l’autel – pardon, de l’étal – à charcuterie, j’ai eu, inconscient, remonté du tréfonds de l’enfance, ce mouvement du bras droit imprimé dans ma mémoire corporelle de catholique: j’ai fait le signe de croix. Vous savez, ce geste rituel que l’on exécute en entrant dans les églises, après avoir trempé ses doigts dans le bénitier.
Revenue à moi devant les pamplemousses, j’ai bien ri de cette espèce de madeleine kinesthésique. Elle n’est pas due au hasard. Le parallèle entre bénitier et flacon de solution hydroalcoolique s’est imposé à moi dès le début de la pandémie, au printemps dernier: les lieux de culte étaient fermés, les temples de la consommation, à eux seuls, accueillaient l’immense foule des âmes en quête de réconfort (et de papier hygiénique). Il était somme toute naturel que le fidèle client se retrouve soumis, à l’entrée, à un rituel de purification. Après tout, l’aspersion ou l’ablution, d’eau lustrale, d’eau bénite, d’eau tout court, est d’usage au seuil des temples depuis la nuit des temps. Les Égyptiens n’y ont pas coupé, ni les Hébreux, ni les Grecs, et j’en passe.
Vous allez me dire: les protestants, oui. Jusqu’à présent. Les voilà remis à l’ordre: obligés de se laver les mains comme tout le monde. Face à la gravité des circonstances qui poussent les réformés à ces extrémités, les cathos sont priés de s’abstenir de ricaner.
Mais au fait, pourquoi les protestants ont-ils boudé le bénitier? J’ai trouvé la réponse dans l’hebdomadaire français «Réforme». Le pasteur Michel Cornuz y explique que l’eau bénite est un symbole «très riche» qui nous rappelle notre baptême. Si les protestants l’ont pourtant sacrifié, c’est par peur de la superstition. Il fallait en effet éviter au fidèle toute tentation de croire à une quelconque vertu bénéfique de cette eau: vertu de guérison, d’éloignement des forces maléfiques…
Vous me voyez venir. Aujourd’hui, plus personne ne doute des vertus bénéfiques de cette eau bénie par la Science qu’est la solution hydroalcoolique: elle chasse la maladie, éloigne les démons du Covid, promet des lendemains meilleurs. Dieu est grand, le docteur Pittet aussi et les protestants n’ont plus aucune raison de cracher dans le bénitier.
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