Une galerie pour exposer l’Afrique autrementUn Foreign Agent très spécial à Lausanne
Si le marché de l’art se passionne pour la création contemporaine africaine depuis quelques années, la capitale vaudoise n’est plus en reste, avec l’ouverture de l’espace d’OIivier Chow, un Sino-Suisse qui a passé vingt ans sous la bannière du CICR.

Quand une galerie baptisée Foreign Agent répond à un téléphone dont le numéro se termine par 007, difficile de croire à la seule coïncidence! D’autant que le maître de cette nouvelle adresse lausannoise, dans sa tenue étudiée jusqu’aux touches de fantaisie, semble ne rien laisser au hasard. Si ce n’est peut-être ses déambulations artistiques à travers le continent africain, l’ADN autant que la raison d’être de sa galerie d’art contemporain et de design. C’est là qu’Olivier Chow aime se voir comme un «art spy» – traduisons par guetteur – de l’art en train de se faire.
«J’avais envie de faire mon propre truc, de créer un univers à mon goût en suivant mon esthétisme, et aussi de donner une autre image de l’Afrique»
La partie semble encrée de romanesque, c’est son droit, il s’agit d’une seconde vie pour ce quadragénaire, fils de Doris Pache et Franklin Chow, deux artistes reconnus. Dans la première, qui a commencé à 25 ans sous la bannière humanitaire du CICR, le Sino-Suisse a vu la réalité en face. Le Rwanda, la RDC, la Guinée-Bissau. Mais encore Haïti où il réchappe d’un accident, puis Pretoria, en Afrique du Sud. Ça laisse des réflexes, des acquis en plus de légitimer un désir d’indépendance sans avoir à parler de reconversion. «C’était la fin d’un cycle. Après vingt ans dans l’humanitaire, c’est fréquent, glisse-t-il: on a besoin de souffler ailleurs, et j’avais envie de faire mon propre truc, de créer un univers à mon goût en suivant mon esthétisme, et aussi de donner une autre image de l’Afrique, différente de celle des guerres, de la pauvreté, de la famine, des inégalités, de la corruption.»

Olivier Chow insiste: rien à voir avec une contre-image, c’est l’Afrique qu’il aime, cette Afrique chamarrée qui prend à peine le seuil de sa galerie franchi, le regard forcé de balayer large, appelé par une turbulente mixité. Il y a ces coussins piqués de couleurs autant que de joyeusetés, ces théières qui trompent leur monde en troquant leur peau d’aluminium cabossé pour du plastique enjoué. Et, aux murs, toute l’histoire transgénérationnelle d’une créature par le Nigérian Wole Langunju, les compositions toiles-tôles très innervées du Camerounais O’Maurice Mboa, le cercle d’énergies sculptées dans le carton récupéré par le Zimbabwéen Wallen Mapondera comme le portrait de la photographe sud-africaine Kristin-Lee Moolman atomisant toutes les frontières ou celui du Béninois Léonce Raphael Agbodjelou croisant les traditions dans un espace devenu intemporel.
Sortir du ghetto
L’Afrique de l’art contemporain flambe, libre; elle ne se dessine pas dans l’ombre des XIXe et XXe siècles rythmés par les révolutions esthétiques, et ses artistes, affranchis de ces héritages occidentaux, n’ont pas ces retenues. Ils en ont d’autres, bien sûr! On parle de l’art précolonial puis de l’art postcolonial. On parle aussi d’une scène effervescente qui passionne de plus en plus le marché international de l’art, et Olivier Chow ne nie pas s’inscrire dans un bon créneau, en même temps qu’il place Lausanne sur la carte de ses amateurs.
«J’aurais pu me diriger vers Genève, l’économie artistique y est plus développée, la concurrence également! Mais j’aime les énergies de Lausanne. Quant à l’intérêt pour l’art contemporain africain, on est effectivement passé d’une gentille attention à une dynamique assez importante, mais les prix restent très raisonnables pour de l’art contemporain. D’autant, poursuit-il, qu’il y a des talents, de la diversité, beaucoup d’humour ou des commentaires sociaux très différents. Donc largement de quoi sortir ces artistes du ghetto «art africain contemporain», une étiquette qui ne veut pas dire grand-chose, pas plus que celle d’art contemporain chinois ou européen. Sotheby’s vient d’ailleurs de réintégrer la scène africaine dans ses sessions d’art contemporain.»
«Même si, comme métis, je vois les manques et les choses qui doivent être réajustées, je ne suis pas pour les quotas. C’est compliqué et, surtout, ce n’est pas mon concept.»
Puisant dans la collection de Jean Pigozzi conservée en partie à Genève, la première vente date de 1999, à Londres, dix ans après l’exposition «Les magiciens de la terre» au Centre Pompidou, à Paris. Mythique – ou scandaleux pour certains –, l’événement fondateur de la globalisation du marché de l’art contemporain a permis de faire entrer dans son champ des signatures des cinq continents! On connaît la suite, le poids de la Chine des collectionneurs et des artistes est venu peser sur le marché.
Pourtant, remarque le site spécialiste Artprice dans son rapport de 2019, «il a fallu une vingtaine d’années de tentatives plus ou moins fructueuses pour que l’achat d’artistes africains entre dans les habitudes des collectionneurs. Désormais, une nouvelle ère s’ouvre pour cette scène contemporaine qui rayonne à la Biennale de Venise comme dans les salles des ventes où, en vingt ans, le produit des ventes a été multiplié par dix. Le record étant tenu par Chéri Samba avec des adjudications à plus de 100’000 dollars.»
Parti sans stock
Olivier Chow, un master en art africain décroché à Londres, s’est lancé sans véritable stock et surtout sans pouvoir prévoir que l’actualité allait entrer en résonance avec son projet. Le meurtre de George Floyd ayant ravivé le mouvement Black Lives Matter jusqu’en Suisse où, mi-juin, un collectif d’artistes saisissait une cinquantaine de lieux de culture d’une demande d’examen de conscience. «Même si, comme métis, donc faisant partie d’une minorité, je vois les manques et les choses qui doivent être réajustées, je ne suis pas pour les quotas. C’est compliqué et, surtout, ce n’est pas mon concept. Je fais la promotion d’artistes et d’objets auxquels je crois.» L’Afrique n’a d’ailleurs pas l’exclusivité! Le galeriste se ménage quelques ouvertures sur d’autres continents.

«Si j’ai fait de l’humanitaire pour connaître le monde d’une autre façon, l’appel de l’art s’est imposé, c’est une telle soupape face à une réalité qui peut parfois être très lourde»
Ses artistes, il les a trouvés sans se fixer de ligne mais aussi en étant sur place. Les uns œuvrent encore en Afrique, d’autres en Suisse, comme O’Maurice Mboa, actif à Genève, et d’autres encore à Londres, comme Yinka Ilori, designer star aux couleurs pop qui signe deux pièces pour Foreign Agent. «Lorsque j’étais en RDC, près du lac Kiwu, j’avais déjà une petite galerie, mais rien de vraiment commercial. Puis, à chaque mission, je passais tout mon temps libre en quête d’art, d’abord tribal, mais c’était très chargé. Parfois trop. Si j’ai fait de l’humanitaire pour connaître le monde d’une autre façon, l’appel de l’art s’est imposé, c’est une telle soupape face à une réalité qui peut parfois être très lourde.»
Lausanne, Foreign Agent, av. d’Ouchy 64
Ma-sa (horaires divers), ou sur rdv.
Tél.: 021 90 90 007foreignagent.ch
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