Au début des années 30, à mi-chemin entre cynisme et délire paranoïde, Joseph Staline et ses séides se sont déchaînés sur la paysannerie ukrainienne, à leurs yeux arriérée, nationaliste et coupable de vouloir faire obstruction à leur politique de collectivisation. Dans la foulée, ils ont tenté de «désukrainiser» le pays tout entier. La famine qui s’ensuivit est entrée dans l’histoire comme l’un des pires crimes de masse du XXe siècle.
«Il n’existe aucun obstacle à la reconnaissance de l’Holodomor comme génocide.»
Aujourd’hui, ce que les Ukrainiens ont baptisé Holodomor («extermination par la faim») a été reconnu comme génocide par de nombreux pays, et tout récemment encore par le Parlement européen.
Un postulat dans ce sens a été déposé au Conseil national fin 2022. Fort de son courage légendaire, le Conseil fédéral en a recommandé le rejet, sous prétexte que la qualification de génocide serait «en principe» du ressort des tribunaux. Le Conseil national a quelques bonnes raisons pour en décider autrement. D’abord, pour que l’affaire soit du ressort des tribunaux – par exemple la Cour pénale internationale – ces derniers doivent être saisis. Pour être saisis, il faut des prévenus. Pour être prévenu, il faut être en vie. Staline et sa clique d’assassins sont morts. Donc nicht möglich.
En outre, on ne demande pas au Conseil national de rendre un jugement mais d’émettre une résolution – acte politique et non judiciaire –, comme il l’a fait en 2003 par la reconnaissance du génocide arménien de 1915. Quant à la qualification juridique de génocide, il est défini à l’article 6 du Statut de Rome notamment comme «une atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres d’un groupe national ou ethnique dans l’intention de le détruire, en tout ou en partie». Les dirigeants soviétiques n’ont pas fait autre chose. Par les réquisitions forcées, l’asservissement des paysans aux kolkhozes, les déportations et les exécutions, par la terreur exercée sur les écrivains, poètes, musiciens, académiciens, ils ont sciemment décimé la population ukrainienne et la culture du pays.
Neutralité à la carte
Il n’existe donc aucun obstacle juridique à la reconnaissance de l’Holodomor en tant que génocide. Si le Conseil national devait malgré tout suivre la position frileuse du gouvernement, ce serait en réalité pour des motifs politiques. Mais lesquels? Crainte de fâcher Vladimir? Allons donc, pourquoi se vexerait-il, vu qu’il n’est pour rien dans la tragédie ukrainienne (des années 30), il n’était pas né.
Du reste, l’actuel maître du Kremlin devrait plutôt se réjouir du cadeau que viennent de lui offrir les Chambres fédérales en votant contre la livraison d’armes à l’Ukraine, sur la base d’une neutralité invoquée à la carte. En compensation, le Conseil national pourrait sans risques faire un geste – certes d’une portée essentiellement symbolique – vis-à-vis de l’Ukraine, en reconnaissant comme génocide ce que la Russie, héritière de l’URSS, lui a infligé voici 90 ans.
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L’invité – Un geste fort vis-à-vis de l’Ukraine
Robert Ayrton enjoint les conseillers nationaux à reconnaître comme génocide l’Holodomor.