Festival de CannesUn Godard posthume et des prétendants à la Palme
Plusieurs films du concours se détachent, d’autres déçoivent, mais les vrais coups de cœur sont pour l’instant hors compétition.

Les dernières fois que des films de Godard avaient été sélectionnés à Cannes, en ou hors compétition, lui n’était pas venu. On se souvient d’une conférence de presse surréaliste, pour «Le livre d’image», qu’il avait tenue en 2018 depuis Rolle via FaceTime sur un téléphone portable grâce à Fabrice Aragno, son fidèle assistant, monteur et complice. Moment unique, très suivi, très commenté. Godardien, en somme. Car de Godard à Cannes, on aura vu ou revu des dizaines de séquences, de sa déclaration en faveur des mouvements étudiants en 1968 à son entartage en 1985, qui se retrouvent dans un documentaire, «Godard par Godard», réalisé par Florence Plaratets et scénarisé par Frédéric Bonnaud.
Un montage passionnant, car composé de documents rares et souvent jamais revus, qui constitue une sorte d’hommage à ce génie qui a décidé de partir un jour de septembre 2022. Au-delà de cette présentation, Fabrice Aragno est venu de son côté avec un court métrage posthume du metteur en scène. Son titre? «Film annonce du film qui n’existera jamais: «Drôles de guerres.» Bricolé sur un bout de table avec des photos, de la peinture, du Tipp-Ex et des feuilles de papier, le film est aussi un pied de nez au monde du cinéma actuel. Ou comment l’extrême modernité peut se passer de technique. Bluffant de simplicité et forcément un peu frustrant, puisqu’on ne verra plus jamais de nouveaux Godard.
Le hors-champ d’Auschwitz
En attendant, la compétition cannoise voit les concurrents défiler sans que l’un ou l’autre semble pour l’instant prendre l’avantage. Sauf peut-être «The Zone of Interest», de Jonathan Glazer, qui nous a quelque peu laissés sur le carreau en posant une question douloureuse. Quel était le hors-champ d’Auschwitz? Existe-t-il une face extérieure à l’horreur? Tiré d’un roman de Martin Amis, d’ailleurs décédé le jour de la présentation cannoise du film, celui-ci n’apporte pas de réponse mais montre avec une lucidité affolante cet envers, soit le quotidien d’un officier du IIIe Reich dans sa villa non loin des camps. Voilà une œuvre glaçante et radicale, impossible à cataloguer, de celles qu’on espère voir s’imposer au palmarès.
Tout aussi puissant, le film à procès de Justine Triet, «Anatomie d’une chute», renvoie dos à dos hypothèses et vérités. Tout débute par la chute d’un homme d’une fenêtre de son chalet. Suicide ou acte criminel? Très vite, des soupçons s’accumulent autour de son épouse (Sandra Hüller, qu’on verrait bien prix d’interprétation, d’autant plus qu’elle figure aussi dans «The Zone of Interest») et le piège se referme sur elle. Le gros du film se passe dans un tribunal, avec Swann Arlaud en avocat de la défense et Antoine Reinartz en avocat général, rôles de composition dans lesquels tous deux excellent. Mais l’ensemble est surtout mis en scène avec une rigueur réfléchie, laissant monter en puissance un récit au rythme calqué sur une musique frénétique qui perturbe et envahit. Troublant et efficace, sans que l’un ne se fasse au détriment de l’autre.
Et puis il y a les titres dont on attendait davantage. Comme «Les filles d’Olfa», de Kaouther Ben Hania, qui était précédé d’excellentes rumeurs. Pourtant, on déchante vite face à une docufiction et un dispositif de film dans le film pour raconter le destin d’une Tunisienne et de ses quatre filles. Elles pleurent, elles rient, mais cela sonne faux, artificiel. La démagogie n’est pas loin. Le film tente de nous manipuler, il ne fait qu’agacer.
Autre déception, «Club Zero», de Jessica Hausner. À se demander pourquoi on s’obstine à sélectionner cette cinéaste sinon pour tenter d’avoir une parité en compétition. Cette farce sur le nutritionnisme sectaire ne fait que survoler son sujet avec cet aplomb des gens sûrs d’eux. Indigeste et pénible. Un cran au-dessus, ce qui n’est pas difficile, «May December», de Todd Haynes, n’est pourtant pas à la hauteur de certains de ses précédents films (comme «Carol»). Ce portrait de deux femmes en miroir, une comédienne et le personnage qu’elle doit jouer, incarnées par deux actrices parfaites, Julianne Moore et Natalie Portman, repose sur un dispositif un peu apprêté, qui empêche d’adhérer totalement à cette proposition.
Le retour d’un maître après trente ans
Rien à redire en revanche sur le dernier Aki Kaurismäki, qui s’appelle comme la chanson de Prévert qu’on entend à la fin, «Les feuilles mortes». Influencé par «Brève rencontre», de David Lean, il conte une histoire d’amour simple entre deux solitudes. Un minimalisme charmant et désuet, dans la lignée des autres films du cinéaste finlandais.
Cela étant, et même s’il reste beaucoup de films «palmables» à découvrir, il faut noter que certains titres hors-concours auraient franchement pu y figurer. C’est le cas du «Temps d’aimer», de Katell Quillévéré. Dans un récit aux allusions sirkiennes nettes, ce film éparpille nos certitudes, fragmente les attentes, jongle avec les thèmes et ne se laisse pas anticiper. C’est d’évidence le plus bouleversant des métrages vus à Cannes. Et de «Cerrar los ojos», du grand Victor Erice, 82 ans, qui n’avait plus tourné depuis trente et un ans, et fait son retour avec un grand film sur la disparition des êtres et des objets, récit entre épure et profusion qui plonge au cœur des secrets et des tourments de l’âme. Une élégie à hauteur de Dreyer ou Tarkovski. Le voilà, l’un des chocs de Cannes. Selon nos infos, c’est lui-même qui ne désirait pas concourir au festival.
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