La trajectoire d’un artiste diagnostiqué schizophrèneUn journal intime gravé à même les murs de l’hôpital psychiatrique
Après une exposition en 2011 à la Collection de l’art brut à Lausanne, Lucienne Peiry poursuit son immersion dans l’œuvre de l’Italien Fernando Nanetti (1927-1994) en publiant «Le livre de pierre».

Le format est vraiment mini, 77 pages, pour dire la trajectoire poignante de Fernando Nannetti, auteur d’un journal intime courant sur les murs de l’hôpital psychiatrique où il est enfermé. Mais tout y est, de l’attrait magnétique pour l’œuvre gravée à l’aide d’un ardillon (cette pointe de la boucle de ceinture) aux contours de l’existence cabossée, chiche et rebelle qui a pourtant ordonné ce travail avec une rare opiniâtreté.
L’intensité déborde de chacune de ces 77 pages signées Lucienne Peiry. Elle y décode, et le terme n’est pas galvaudé, l’épopée scripturale de ce patient diagnostiqué schizophrène, placé à 10 ans dans un établissement psychiatrique pour mineurs, arrêté pour outrage à agent à 29 ans puis interné jusqu’à sa mort à 67 ans, sans jamais avoir reçu de visite. Avec «Le Livre de pierre», l’ancienne directrice de la Collection de l’Art brut à Lausanne plante une nouvelle banderille sur les terres de l’oubli, elle qui n’en est pas à sa première salve pour éviter que l’œuvre de l’Italien, gravée dans la pierre d’un établissement aujourd’hui désaffecté, ne disparaisse. Avalée par le temps qui passe, altérée par ses intempéries, guettée par ses pertes de mémoire.
«A chaque fois que je me retrouve devant ce mur, ça me touche, suscitant un mélange d’émotions et de réflexions»
En 2011 déjà, sept ans après la mort du stratège à la tête d’une armée de lettres, de signes et de dessins hermétiques, elle vernissait à Lausanne «Nannetti, colonel astral», une première rétrospective rendant la parole à un volubile devenu taciturne, à peine arraché à Rome, sa ville, pour être enfermé en Toscane, à Volterra. «Il est vrai que c’est un créateur qui me tient au corps, glisse Lucienne Peiry, d’ailleurs à chaque fois que je me retrouve devant ce mur, ça me touche, suscitant un mélange d’émotions et de réflexions. Sur place, le spectacle est celui de la solitude et l’ambiance spectrale. Ces écrits anguleux, dont l’allure nous fait penser aux signes étrusques, sont encore là, mais de plus en plus troubles.»
Nannetti avait une heure par jour pour graver et grappiller un peu d’espace dans la société et y installer sa vie, son imaginaire et son mystère, l’heure de la promenade. Mais sur le mur, son rythme était celui de la page, dessinant au préalable le cadre de chacune de ses séquences. Partie d’un tout, long de 70 mètres, l’auteure, elle, fait le chemin inverse, pour aller vers le détail, pour dompter et déchiffrer cette «œuvre de la survie». Elle le suit, révolté, fabuleusement prolixe, célébrant «l’alliance du verbe et de l’image» et le cite, beaucoup. Dans ses jeux de mots, ses fantasmes comme ses divagations calligraphiées. Nannetti a aussi dessiné, densément, profusément et «Le livre de pierre» révèle une vingtaine de ses «danses graphiques», une première, une rareté aussi, les 1600 autres ayant disparu. Quand on dit qu’il y a tout… dans ces 77 petites pages!
Lucienne Peiry, «Le livre de pierre». Ed. Allia, 77 p.
Pour obtenir un exemplaire dédicacé https://evenements.payot.ch/evenement/lucienne-peiry-2020/
Jusqu’au dimanche 7 juin à minuit

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