Un livre d'entretiens dévoile le testament intellectuel de Vladimir Dimitrijevic
Gérard Conio, spécialiste des langues slaves, s'est entretenu avec l'éditeur lausannois durant quarante ans. «Béni soit l'exil!» restitue leurs dernières conversations, de 1996 à 2011.

Vladimir Dimitrijevic, le fondateur des Editions de l'Age d'Homme décédé en 2011, a conversé durant quatre décennies à bâtons rompus avec Gérard Conio, spécialiste français de la culture et des langues et slaves. Un jour, le duo a décidé de s'enregistrer. Gérard Conio publie ces mots échangés durant les quinze dernières années de la vie de l'éditeur.
Au fil de chapitres thématiques, ce dernier évoque la dictature communiste qu'il a fuie en partant de Belgrade à 20 ans, en 1954. L'idéalisation de l'Occident entre alors «en collision avec la réalité que j'ai découverte en arrivant». Sa carrière d'éditeur – dont la vocation lui est venue très tôt, à 13 ans, lorsqu'il animait un club de lecture à Belgrade – se concrétisera par la fondation de l'Age d'Homme à Lausanne en 1966. Suivront l'envie de faire découvrir notamment la littérature slave, et la publication d'un vaste et hétéroclite catalogue qu'il considérait comme son portrait-robot. On y trouve tant des dissidents russes comme Alexandre Zinoviev que de nombreux écrivains romands, dont des œuvres complètes comme celles de Georges Haldas ou de Charles-Albert Cingria. Gérard Conio est resté parmi les fidèles même lorsque l'éditeur s'est vu massivement désavoué en raison de ses positions pro-serbes durant la guerre des Balkans. Il évoque ce personnage paradoxal et sans concessions.
Pourquoi ce livre?
J'ai voulu livrer un témoignage sur la personnalité de Vladimir Dimitriejevic, son travail d'éditeur, sa vision du monde. Nous avions d'ailleurs envisagé ensemble une telle publication.
Comment cela s'est-il fait?
Nous avions souvent de longues conversations et, un jour, on a décidé que ça pourrait faire l'objet d'un livre. Je me suis donc mis à enregistrer et à retranscrire, pour faire passer la voix à l'écrit. Même s'il écrivait très bien, Vladimir s'est toujours considéré comme un passeur, pas comme un écrivain. Il avait choisi le titre et pris des contacts pour la publication. Cela a donné un résultat provisoire qui pouvait être révisé à tout moment. A sa mort, je ne savais pas s'il fallait le publier, mais on a retrouvé dans son dépôt parisien des pochettes avec chaque chapitre annoté et corrigé, c'était presque comme des épreuves avant publication. J'ai compris alors qu'il aurait vraiment souhaité les voir paraître.
Il laisse un large catalogue de publications très diverses. Vous parlez vous-même de caverne d'Ali Baba? Comment ses choix s'opéraient-ils?
Il n'avait pas de préjugés. Il avait une insatiable curiosité des idées, des livres, des gens. Ce qui importait, c'était qu'un écrivain défende ses convictions jusqu'au bout, qu'il s'exprime, quelles que soient ses idées et ses orientations politiques. Après, on pouvait être d'accord ou pas. Il détestait avant tout l'opportunisme et s'interdisait tout compromis.
D'abord qualifié «d'anticommuniste viscéral», il a ensuite été porté aux nues pour cette même raison?
Alors qu'on ne pouvait publier un témoignage véridique sur les crimes commis par le régime, c'est lui qui l'a fait, c'était quelqu'un qui n'avait pas peur. L'Age d'Homme a énormément contribué à la démystification de cette image positive qu'on donnait du communisme. La maison est ensuite devenue très connue. En France, tous les universitaires slavisants voulaient y être édités.
Jusqu'à l'explosion de l'ex-Yougoslavie, où ses positions pro-serbes font de lui un paria. Dans le livre, il les répète sans se justifier autrement qu'en invoquant le diktat de la pensée dominante…
Il était très fier, il refusait de rendre des comptes, et considérait qu'il n'avait pas à se justifier. Il était au-dessus des accusations. Il considérait qu'il ne serait jugé qu'après sa mort par le Christ, figure devenue centrale vers la fin de sa vie.
Tout serait donc chez lui question de foi et non pas de nationalisme?
Exactement. C'était une prise de position défensive vis-à-vis de la religion orthodoxe, de ses racines, de ses fondements, même si c'était un monde dont il s'était exclu, puisqu'il a fui le communisme. Et c'était un personnage paradoxal. Il avait une insatiable curiosité et était très ouvert à la critique, mais seulement de la part de ceux à qui il reconnaissait ce droit…
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