Théâtre imprévisibleUne ado autiste sur les planches de sa vie
Emilienne, 14 ans, monte sur la scène du Reflet, à Vevey, dans «Lion ascendant canard». Une pièce déjà plébiscitée où tout parent pourra se reconnaître.

«En vingt ans de spectacles, je n’ai jamais vécu ça: des gens nous déposent des fleurs, nous envoient des messages, nous écrivent des lettres. Et de très nombreux spectateurs viennent nous parler.» Cette expérience, Laure Donzé la vit depuis une année avec «Lion ascendant canard», pièce où elle se met en scène avec sa fille autiste, Emilienne, 14 ans, aux côtés de Simon Seiler (rappeur jurassien connu sous le pseudo de Sim’s). Lui qui fut l’éducateur spécialisé d’Emilienne chante accompagné de sa guitare sèche.
La pièce a été jouée 19 fois à Delémont. Elle se jouera trois fois au Reflet, à Vevey. Prévues en jauge réduite déjà complète, les représentations auront finalement lieu dans l’entier du théâtre pour accueillir davantage de public. Dans «Lion ascendant canard», Laure Donzé parle de difficultés, mais aussi de joies; tant des limitations d’Emilienne que de ses capacités incroyables. Tout parent – pas seulement ceux d’enfants différents – se reconnaîtra dans certaines descriptions. «Quand on part du très intime, ça rejoint l’universel à différents niveaux, acquiesce Laure Donzé. La pièce parle plus largement de ce qu’on croit maîtriser dans la vie, mais qui nous échappe, participant aussi de la beauté de l’existence.»
Emilienne se tient souvent dans sa «chambre». Une idée de mise en scène ou une nécessité pour la sécuriser?
Les deux. Cet espace de repli reprend, comme à la maison, sa pile de bouquins de mythologie et ses Playmobil. L’idée de mise en scène était que chacun ait son espace de confort, mais que lorsqu’on essaie d’aller à la rencontre des autres, on glisse sur ce plan incliné: on doit faire des efforts pour rejoindre le monde de l’autre.
Vous le dites au début de la pièce, «tout est écrit mais peut-être qu’on n’y arrivera pas tout à fait». Quelles ont été les plus grosses surprises?
Une fois, Emilienne effaçait au fur et à mesure tout ce que nous écrivions sur le sol à la craie. Elle en avait plein les mains et ne voulait plus rien faire tant qu’elles ne seraient pas lavées. Au début, il était difficile pour Emilienne de sortir de sa zone de confort, avec les lumières dans le visage et le micro. Mais à force de jouer, la pièce lui est devenue prévisible, ce qui est important pour elle qui a besoin de savoir comment les choses vont se dérouler. Lorsque Emilienne est à fond, elle nous surprend de jouer si juste. C’est incroyable.
«Des camarades d’école ont pu mieux comprendre qui était cette gosse, qui se tenait bizarrement dans la cour de récré.»
À un moment, elle dit qu’elle sait que c’est du théâtre. Comment gère-t-elle la distinction entre réalité et fiction?
C’est délicat. Parfois, elle me questionne: «Pourquoi tu m’engueules?» Je lui réponds que c’est pour le spectacle. Elle rétorque que je pourrais quand même crier moins fort. Mais la majorité des choses dites font partie de notre quotidien, comme ces moments où l’une ou l’autre se fâche. Des spectateurs me demandent comment je peux dire des choses horribles en sa présence. Je comprends que cela puisse choquer ou interpeller, mais je pars du principe que je dirai toujours la vérité à mes enfants. Cette question de l’authenticité est pour moi au cœur du lien humain.
Cette pièce a-t-elle changé votre vécu de maman?
J’ai eu l’idée du spectacle en 2019. Durant deux ans, j’ai observé Emilienne avec un œil intéressé à collecter des éléments pour la pièce. Des choses qui m’auraient énervée devenaient matériau de création. Ce spectacle nous lie davantage. Elle a grandi dans un canton de tradition théâtrale et dans une famille où ses parents et ses deux sœurs en font. Elle aussi a enfin pu jouer dans un spectacle! Et des camarades d’école ont pu mieux comprendre qui était cette gosse, qui se tenait bizarrement dans la cour de récré.
Vevey, Le Reflet, ve 9 et sa 10 à 18 h, di 11 déc. à 15 h. www.lereflet.ch
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