Critique de spectacleUne femme «Sous influence», de l’écran à la scène
À Vidy, la jeune metteuse en scène Nina Negri signe une pièce puissante, librement inspirée du chef-d’œuvre de John Cassavetes.

«Cette nuit devait être une nuit d’amour.» Les errances de Mabel, héroïne du film «Une femme sous influence» habitaient Nina Negri depuis des années. Troublée par cette figure exubérante mais corsetée dans un monde formaté, la metteuse en scène tente de traduire les injonctions sociales qui irriguent le chef-d’œuvre de John Cassavetes (1974) dans «Sous influence», au Théâtre de Vidy avant la Comédie de Genève. En déployant ces tensions dans un geste théâtral et chorégraphique, la jeune artiste issue de la Manufacture donne à voir une pièce intense.
Voici donc Mabel (Laura Den Hondt). Ce soir, elle attend son mari, Nick (Guillaume Miramond). Alors, elle nous parle, cherche à capter notre attention et nous entraîne dans son monde. «On va faire la fête!» Mais déjà l’allégresse se fissure. Bloqué au travail, Nick ne rentrera que le lendemain matin. «Cette nuit devait être une nuit d’amour»; elle sera la motrice insidieuse d’une chute dans les abîmes de la psyché qui mèneront à l’internement de l’héroïne. Mais Mabel est-elle vraiment instable? N’est-elle pas plutôt, comme l’écrit Nina Negri, «condamnée à flancher tandis que les autres savent demeurer droits»?
Puissance émancipatrice
Inspirée de la trame du film, la pièce s’en affranchit pour ouvrir d’autres pistes. La violence inhérente au cadre fixé par la société jaillit dans les corps en transe d’une danseuse (Mamu Tshi et Solie Warren, en alternance) et d’un danseur (Dakota Simao) de krump. Cet art urbain, né dans les ghettos de la communauté afro-américaine de Los Angeles à la fin des années 1990, déploie une énergie vitale, viscérale. Lentement, l’air du «Lac des cygnes» de Tchaïkovski se délite et se pare de sonorités urbaines composées par Mozarf, musicien krump. La partition, frénétique, convulsive, dégage une puissance émancipatrice. En contrepoint, la présence des trois enfants, qui dansent avec leur mère, instille une candeur, preuve que l’amour a le pouvoir de briser des murs.

Nina Negri nous invite aussi à aiguiser nos perceptions de la norme en plaçant ses personnages dans une scénographie ingénieuse (signée Neda Loncaveric): les silhouettes se reflètent sur des parois vitrées assemblées à angle droit, que les artistes déplacent sur le plateau habillé de lumières crues. Jusqu’à enfermer Mabel dans une cage de verre. Elle s’en libérera, parée d’un costume de ballerine, entonnant un chant sublime. «Je suis une femme qui sourit. Une sorte de miracle vivant.»
Lausanne, Théâtre de Vidy, jusqu’au13 nov. www.vidy.ch. Genève, Comédie, du 17 au 20 nov. www.comedie.ch.
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