«Une vie sans la mort, vous imaginez?»
Electron définitivement libre de la chanson française, Catherine Ringer revient avec un second solo, dix ans après la disparition de Fred Chichin et la fin de leurs Rita Mitsouko. Souvenirs

Un pépiement d'oiseau, suivi d'un yodel et de ce qui devrait ressembler à une phrase en chinois. Catherine Ringer illustre ses propos par l'exemple, et une conversation avec elle n'est pas très éloignée de la légèreté baroque que compose son nouveau disque, judicieusement titré Chroniques et fantaisies. Ce deuxième album sous son nom apparaît dix ans après la disparition de son compagnon de vie et de musique, Fred Chichin. «Une coïncidence», assure-t-elle. «On commémorera sa mort — enfin, plutôt sa vie! — par des petits clips inédits tournés avec les Rita Mitsouko en Inde et en URSS. On les passera sur le Net en décembre. Je n'ai pas un grand intérêt pour les anniversaires.»
– Le vôtre non plus? Vous venez de fêter vos 60 ans et regrettez dans «Senior», la première chanson du disque, que «le temps s'accélère».
– Je ne le regrette pas, je le constate. Plus on vieillit, plus le temps file vite. Je l'accepte, ça me va de savoir que la partie est bientôt finie. Les êtres disparus me manquent, mais il faut bien que la vie s'arrête à un moment. Une vie sans la mort, vous imaginez? On ne serait pas un peu serrés? J'aime le présent, je n'ai pas de nostalgie.
– Composer un disque ne vous renvoie pas au souvenir des Rita Mitsouko?
– Pas vraiment, j'ai toujours eu la même fantaisie musicale. Un jour, j'aurai envie d'un vieux funk — cela a donné le début de Senior—, le lendemain d'un truc un peu punk, puis d'un air de java d'avant-guerre ou d'une mélodie à l'italienne. Comme une cuisinière, je n'ai pas de plaisir à concocter la même chose à chaque repas. Je suis mes envies et ce que je suis capable de faire, surtout au niveau instrumental.
– Les choses étaient plus «cadrées» avec Fred?
– Il m'apportait un peu plus de son univers anglo-saxon. Il adorait les vieux blues. David Bowie, aussi, qu'il m'a fait découvrir. Au début, j'avais beaucoup de peine avec la voix de Bowie, que je trouvais aigrelette.
– Cette liberté de ton qui fait votre disque était déjà la marque de fabrique des Rita Mitsouko, loin de toute standardisation.
– Oui, on aimait l'idée d'emprunter de tout et de le jouer à notre sauce. «Fait maison», également dans les enregistrements. On adorait les bricolages. Les cuivres dans Marcia Baila, qui font l'accroche du morceau, ont été trouvés sur un vieil orgue d'occasion passé dans un ampli pour guitare complètement saturé. Et ça a fait un tube. Le producteur de notre premier disque disait qu'on avait «des mauvais sons d'excellente qualité».
– Pensez-vous qu'il reste quelque chose de cette époque pour un groupe qui débute? Ou était-ce un tout autre monde?
– Les années 1980 étaient beaucoup liées à un rapport à l'argent pas toujours sain. Pas mal de personnes voulaient bosser dans ce milieu dans l'espoir de s'enrichir. Aujourd'hui, on revient à un peu de logique, cette parenthèse de cinquante ans s'est refermée. On retrouve l'idée qu'il faut avoir le feu sacré pour faire musicien.
– Comment avez-vous vécu à l'époque ce rapport à l'argent?
– On vivait pauvrement quand le succès est arrivé, et il n'a pas beaucoup changé nos habitudes. Et nous n'avons pas gagné des mille et des cents! Je trouvais choquant que le label nous refuse des sous pour réparer un synthé défectueux mais qu'il n'hésite pas à offrir des repas avec des bouteilles hors de prix, ou à monter des opérations promo avec des cadeaux pour les invités. Venant de familles pauvres, nous avons toujours gardé la tête sur les épaules: privilégier la sobriété, ne pas tout dépenser, garder des sous pour les impôts, ne pas demander d'avances et ne dépenser que ce que l'on a gagné…
– L'argent a pu servir à imposer l'image des Rita, au travers de clips restés célèbres?
– Même pas! La maison de disques n'a presque rien investi dans le clip de Marcia Baila (voir la vidéo ci-dessous). On a trouvé des sous autour de nous, on a bossé avec des amis qui venaient de façon bénévole, on a tourné en cinq jours. Cela faisait aussi partie de notre éthique de conserver un maximum de contrôle dans notre musique comme dans notre visuel.
– Que vous inspire l'affaire Weinstein, et la parole libérée sur les réseaux sociaux?
– Tout ce qui permet de formuler la violence est une bonne chose. J'ai été victime, entre 13 ans et 20 ans, d'un pervers qui me tenait sous sa coupe et m'a fait faire toutes sortes de trucs, dont du porno. J'ai totalement souffert et, à l'époque, je n'ai jamais pu vraiment le dire. Au contraire, j'en parlais fièrement, sous son emprise, avec des concepts comme «l'aventure moderne», «l'émancipation sexuelle», mais ce n'était pas la réalité. Je trouve bien que tout cela sorte et s'exprime, mais je serais aussi triste que trop de murs soient érigés. Il faut s'éduquer les uns les autres. Difficile de faire porter le chapeau seulement aux hommes quand tous les magazines féminins sont remplis de conseils pour être la plus séduisante possible.
– Votre couple a-t-il pu imposer un premier exemple de parité dans la variété française?
– Le public ne savait pas que l'on était en couple, on l'a toujours caché. C'était privé. Mais vous avez raison, c'était assez rare, un groupe fait d'un homme et d'une femme à parts égales. Cela dit, dans mon orchestre actuel, je n'ai que des mecs! Il ne faut pas non plus se poser trop de questions de parité, sinon on ne s'en sort plus. Et on devient pénible.
En concert à Lausanne, Docks samedi 2 décembre www.docks.ch
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