«La ligne», le dernier film de la cinéaste romande Ursula Meier passe actuellement sur nos écrans. Il aborde frontalement un sujet qui dérange, la violence exercée par les femmes. «Une problématique absente de l’espace public et peu documentée sur le plan scientifique», résumait une étude féministe canadienne en 2019.
Ursula Meier crée de la fiction. N’empêche, on frissonne devant la scène d’ouverture du film: une jeune adulte pourchasse sa mère à travers le salon familial et l’envoie d’une gifle se fracasser contre le piano à queue. Quelques images plus tard, le spectateur découvre la violence psychologique dont cette mère use avec ses trois filles.
Nous voici empêtrés pendant nonante minutes dans un nœud de relations toxiques sur fond de vallée du Rhône. La mère immature s’agite, incapable de soutenir ses filles. L’aînée recourt volontiers à la violence physique, et pas seulement avec sa mère. La seconde tente de faire face, avec gentil mari et jumelles au berceau. La petite, 14 ans aux yeux limpides, debout dans la morne plaine qui encercle la maison familiale, prie le Seigneur pour que tout rentre dans l’ordre.
«Difficile de se risquer aujourd’hui dans le terrain miné de la violence exercée par les femmes.»
La cinéaste a collaboré étroitement avec l’actrice qui incarne la jeune femme violente, Stéphanie Blanchaud, pour bousculer les stéréotypes. Pas ici de victime évidente. Pas d’ado chassée de la maison, de toxicomane abusée sexuellement, de prostituée métissée. Pas de précarité non plus. La mère, une musicienne à la carrière de soliste entravée par la maternité, explose de frustration mais semble à l’aise financièrement. Le père? On n’en parle pas. Rien dans le passage à l’acte et le mal-être familial ne fait d’emblée penser à des femmes victimes d’une violence liée, de près en tout cas, «au patriarcat».
Les médias ont beaucoup souligné le talent d’Ursula Meier pour dénicher des jeunes talents. Ainsi la jeune fille de 14 ans qui incarne la petite sœur. Pour le reste, les filtres liés à la fiction fonctionnent, personne ne traque l’autobiographie, pas d’intérêt marqué chez les critiques pour la problématique abordée.
Difficile de se risquer aujourd’hui dans le terrain miné de la violence exercée par les femmes. Les chercheuses canadiennes, les mêmes, postulent: «Cette problématique demeure souvent niée ou encore subordonnée à celle des hommes. On escamote […] le fait que les femmes peuvent accomplir des actes de violence délibérée. Cette violence déstabilise en effet les idées reçues sur ce qu’est une «vraie» femme, une «vraie» mère.»
Le personnage incarné dans le film par Stéphanie Blanchaud est de toute évidence doux et fragile. Mais comme il est encore difficile d’imaginer qu’une femme puisse exprimer tour à tour douceur, fragilité, empathie, don de soi et violence physique.
Un tabou résistant
Les mêmes chercheuses se donnent donc un mal fou pour relativiser et comprendre la violence «généralement situationnelle» des femmes. Pour qu’elles restent des victimes qu’on écoute avec une longue patience. L’étude conclut néanmoins que «la résistance des femmes interviewées à parler de leurs actes violents soutient fortement le caractère tabou de la violence féminine».
Oui, le tabou résiste. Les enquêtes consacrées aux conflits conjugaux ne s’attardent guère sur les 30% d’hommes victimes de violence dite domestique. Même si tout acte violent a son histoire, le constat est là: les femmes aussi peuvent être parfois violentes physiquement. Vivement davantage de films, documentaires ou fictions, où des hommes et des femmes concernés apparaissent dans toute l’amplitude de leur complexité!
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Carte blanche – Une violence taboue dans la vraie vie
Isabelle Guisan constate la difficulté à aborder le thème miné de la violence exercée par les femmes.